« Bénie soit à jamais la mémoire de celui qui en instituant cette exposition publique de tableaux, excita l’émulation entre les artistes, prépara à tous les ordres de la société, et surtout aux hommes de goût, un exercice utile et une récréation douce ; recula parmi nous la décadence de la peinture de plus de cent ans peut être, et rendit la nation plus instruite et plus difficile en ce genre ».
C’est par ces mots que Diderot commence son compte rendu du salon de 1763, selon lui l’émulation suscité par cette manifestation est le moyen le plus sûr d’éveiller les talents. Il ne prive d’ailleurs pas de distribuer des bons et des mauvais points. Par exemple à propos de Jean-Siméon Chardin « C’est celui-ci qui est un peintre, c’est celui-ci qui est un coloriste. (…) Ô Chardin, ce n’est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broie sur ta palette ; c’est la substance même des objets, c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau, et que tu attaches sur la toile ». En 1763 Chardin présente « La raie » que notre critique présente ainsi « Après que mon enfant aurait copié et recopié ce morceau, je l’occuperais sur la Raie dépouillée du même maître. L’objet est dégoûtant ; mais c’est la chair même du poisson. C’est la peau, c’est son sang (…) On m’a dit que Greuze, montant au Salon, et apercevant le morceau de Chardin que je viens de décrire, le regarda et passa en poussant un profond soupir. Cet éloge est plus court et vaut mieux que le mien ».
Diderot aime moins François Boucher « Ce maître a toujours le même feu, la même facilité, la même fécondité, la même magie et les mêmes défauts qui gâtent un talent rare.» A propos d’un tableau sans doute « Le pont » il écrit « Quelle couleurs ! Quelle variété ! Cet homme a tout, excepté la vérité. (…) On se demande, mais où a-t-on vu des bergers vêtus avec cette élégance et ce luxe ? (…) que fait là cette femme charmante, si bien vêtue, si propre, si voluptueuse ».
Au Salon de 1765 Jean-Baptiste Greuze expose. A son sujet Diderot écrit « Voici votre peintre et le mien, le premier qui se soit avisé parmi nous de donner des mœurs à l’art, et d’enchaîner des évènements d’après lesquels il serait facile de faire un roman ». Greuze présente deux esquisses, « le fils ingrat » et « le fils puni », les tableaux définitifs seront peints une dizaine d’année plus tard
En deux épisodes cette série raconte comment un fils quitte sa maison contre la volonté de son père et revient pour trouver ce dernier mourant. Diderot raconte ainsi le fils puni. « Il a fait campagne, il revient, et dans quel moment ? Au moment où son père vient d’expirer. Tout à bien changé dans la maison ; c’était la demeure de l’indigence, c’est celle de la douleur et de la misère. Le lit est mauvais et sans matelas. Le vieillard mort est étendu sur ce lit. (…) Et puis voici le même chien qui est incertain s’il reconnaîtra cet éclopé pour le fils de la maison, ou s’il le prendra pour un gueux ».
Dans la catégorie des curiosités j’ai découvert, parmi les peintres qui exposent au Salon, Francesco Giuseppe Casanova, le frère du célèbre libertin Giacomo Casanova qui à l’époque était un aventurier peu connu dont les mémoires, publiées après sa mort, assurèrent la célébrité. Le peintre Francesco Giuseppe Casanova est formé à Venise par Francesco Guardi arrive à Paris en 1751, est reçu à l’Académie de peinture en 1763. Il expose assez régulièrement au Salon à partir de cette année-là jusqu’en 1783. Diderot francise son nom et l’appelle Casanove, nul doute que son côté moralisateur n’aurait guère apprécié les frasques de Giacomo.
Si vous avez envie de lire l’ensemble des « Salons » de Diderot sachez que le livre est facilement disponible en collection de poche, vous y retrouverez d’ailleurs les « Regrets sur ma vielle robe de chambre » texte qui a fait le bonheur des manuels scolaires.