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Notes sur la poésie : Jules Supervielle

Par Florence Trocmé

Chercher sa pensée

Il m’arrive souvent de me dire que le poète est celui qui cherche sa pensée et redoute de la trouver. La trouve-t-il qu’il pourrait bien cesser d’être un poète pour devenir un logicien, un prosateur, quelqu’un qui use d’abstractions pour s’exprimer.
C’est dans une image, à l’avant-garde de lui-même que le poète éprouve le besoin de fixer son esprit toujours en mouvement. Elle lui sert de relais jusqu’à ce que s’élève dans sa nuit personnelle une autre image qui se précise peu à peu. Ainsi se forme la chaîne de tout le poème.
L’image a pour le poète une autorité que n’a pas l’abstraction.Elle le rassure d’autant plus dans ses naturelles ténèbres qu’elle est une preuve d’existence et même d’invention. Par sa présence muette et inébranlable, elle affirme même son contraire et satisfait pleinement le poète, lui qui ne prétend rien démontrer mais tient simplement à se situer, à se révéler.
Alors que la pensée abstraite vieillit ou se dissipe, voyez comme les images des poètes sont restées jeunes et inépuisables. À l’abri des menaces de l’abstraction, elles se sont barricadées dans l’éternelle fraîcheur de l’évidence. Ces images peuvent fort bien avoir pour origine une pauvre réalité décrassée de sa gangue millénaire et devenue la proie d’une jeunesse toute neuve et d’autant plus convaincante qu’elle ne tend à prouver que sa présence.

Jules Supervielle, dans Prose et proses, dans Œuvres poétiques complètes, Pléiade, 1996, p. 653.


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