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Comment l'Elysée tente de contrôler l'affaire Djouhri

Publié le 12 septembre 2011 par Juan
Comment l'Elysée tente de contrôler l'affaire DjouhriLa guerre des droites aura bien lieu. Malgré tous les efforts de Nicolas Sarkozy pour rassembler autour de sa candidature toutes les composantes de la droite. Et cette guerre a déjà sa première victime, Dominique de Villepin. Ce dernier est politiquement mort. A ceux qui en doutaient, la confirmation est tombée ce weekend, avec la publication d'un livre sur un curieux homme de l'ombre, puis l'interview de l'avocat Robert Bourgi au Journal du Dimanche.
L'Elysée allume des contre-feux,  les uns après les autres, à chaque nouvelle révélation sur les sales coulisses de Sarkofrance. Quitte à raviver une guerre à droite.
Sarkozy ne se soucie guère des victimes collatérales quand sa propre survie politique est en jeu.
« On va bourrer le nabot »
Il y a 4 ans, l'ancien premier ministre paraissait sympathique à quelques opposants à Nicolas Sarkozy. On croyait qu'il pouvait rallier sur son nom cette droite gaulliste et républicaine heurtée par le sarkozysme triomphant, atlantiste et libéral. Le combat, quasi-christique, qu'il menait contre le Monarque élyséen attirait quelques soutiens. Sarkozy faisait peur et Villepin fleurait bon la résistance des premiers jours.
Dans les colonnes de l'hebdomadaire dominical, l'avocat balance fort. Il est coutumier de ces coups de sang médiatiques. Il est toujours conseiller officieux de Nicolas Sarkozy à l'Elysée pour l'Afrique. Cette fois-ci, il s'attaque à ses anciens mentors, et précise: « Je sais ce que je dis. Je sais ce que j’ai fait ».
« J’ai participé à plusieurs remises de mallettes à Jacques Chirac, en personne, à la mairie de Paris. (...) C’était toujours le soir. "Il y a du lourd?" demandait Chirac quand j’entrais dans le bureau. Il m’installait sur un des grands fauteuils bleus et me proposait toujours une bière. Moi qui n’aime pas la bière, je m’y suis mis. Il prenait le sac et se dirigeait vers le meuble vitré au fond de son bureau et rangeait lui-même les liasses. Il n’y avait jamais moins de 5 millions de francs. Cela pouvait aller jusqu’à 15 millions. Je me souviens de la première remise de fonds en présence de Villepin. L’argent venait du maréchal Mobutu, président du Zaïre. C’était en 1995.»
Robert Bourgi ajouta de nombreuses précisions, comme cette formule, « On va bourrer le nabot », prêtée à Dominique de Villepin après 2002 quand il était au Quai d'Orsay. Ou cette autre confession de Villepin, alors premier ministre, à Bourgi lui-même: « Aujourd’hui, j’ai atteint l’âge du général de Gaulle le jour de l’appel du 18 juin, j’ai 49 ans, Robert! Je serai l’homme du recours! » Ou encore, cette liste des chefs d'Etat africains, fidèles soutiens de Françafrique, qui aidèrent Chirac et Villepin de leurs liasses de billets. Au passage, il s'est permis de blanchir l'actuel occupant de l'Elysée: « Ni Omar Bongo, ni aucun autre chef d'Etat africain, par mon intermédiaire, n'a remis d'argent ni à Nicolas Sarkozy ni à Claude Guéant ».
Panique à l'Elysée
Cette dernière phrase est la clé de tout. Elle sonne comme un aveu, involontaire, la preuve d'un joli contre-feu. En surchargeant Chirac et Villepin, Robert Bourgi devait faire du bruit, et innocenter Nicolas Sarkozy. La ficelle est bien grosse.
Invité du 12-13 Dimanche, nouveau rendez-vous politique dominical de France 3, Dominique de Villepin avait le regard froidement enragé et les yeux qui clignaient pour dénoncer l'attaque : « Ces allégations sont mensongères et indignes. On voit l'acharnement, la volonté de salir la présidence de Jacques Chirac. (...) Tout cela n'est pas un hasard ». Un peu plus tard, il annonce sur France 2 qu'il porte plainte pour diffamation.
 
Bourgi fustige l'ingratitude de Villepin qui, en 2006, l'a « limogé » sous prétexte que « l’argent de Sassou, de Bongo, de tous les Africains, sent le soufre ». L'explication était bien courte. La fortune de ces autocrates africains sent le souffre depuis des lustres. Mais pour Bourgi, s'en était trop, et il a filé chez Sarkozy.
« Nicolas Sarkozy m’a écouté, je lui ai raconté tout ce que je vous raconte aujourd’hui. Même lui, il m’a paru étonné. Je l’entends encore me demander : "Mais qu’est-ce qu’ils ont fait de tout cet argent, Robert ?" Il m’a dit aussi : "Ils t’ont humilié comme ils m’ont humilié, mais ne t’inquiète pas, on les aura." Je l’ai revu la semaine suivante. Nicolas Sarkozy m’a dit : "Robert, là où je suis, tu es chez toi", et m’a demandé de travailler pour lui, mais sans le système de financement par "valises". »
Cette sortie médiatique de Robert Bourgi n'est qu'un contre-feu déclenché de l'Elysée, à l'approche d'autres révélations. La tactique est connue. Le journaliste Pierre Péant va justement publier sa dernière enquête, « la République des mallettes ». Il y donne notamment la parole à Michel de Bonnecorse, qui accuse Robert Bourgi d'avoir également apporté quelques mallettes de billets à Nicolas Sarkozy. Michel de Bonnecorse était le Monsieur Afrique de Jacques Chirac: après l'échec du CPE de Villepin en mars 2006, « Tout logiquement, Bourgi estime que désormais la route est dégagée pour Sarkozy. Villepin est cuit... Et au lieu de distribuer une mallette à chacun, il n'en fait qu'une, plus grosse, et la dépose aux pieds du ministre de l'Intérieur. Et le retour sur investissement a été immédiat après l'élection de Nicolas Sarkozy: Bongo a été un des tout premiers, sinon le premier chef d'Etat appelé par le nouveau président ».
Après le scandale Woerth/Bettencourt, voici de nouvelles révélations qui risquent de faire tâche sur le financement occulte des précédentes campagnes de Nicolas Sarkozy.
Djouhri, l'ami encombrant
Mais le véritable héros de l'investigation de Pierre Péan s'appelle Alexandre Djouhri. Un homme inconnu du grand public. Surveillé par la police à l'aube des années 80 (Péan publie sa photo d'identité judiciaire, face et profil, réalisée en 1981 après une interpellation), il fut « recruté » par Charles Pasqua en 1986, naturalisé français l'année suivante, efficace intermédiaire lors de ventes d'équipements militaires dans les pays arabes (Libye, Chine, Arabie Saoudite, Koweït), et devenu depuis, d'après l'enquête de Pierre Péant, l'un des conseillers de Nicolas Sarkozy.
1. Alexandre Djourhi est toujours proche de Dominique de Villepin. Il est souvent photographié avec Villepin. Le Monde, vendredi dernier, republiait cet incroyable cliché montrant les deux hommes ensemble à Paris, en novembre dernier. Le 4 septembre dernier, Djouhri aurait déjeuné avec Villepin et Ali Bongo, le président du Gabon. Le secrétaire général adjoint du parti de Dominique de Villepin, « République Solidaire », s'appelle Hervé Séveno, président du cabinet d'intelligence économique I2F. «Alexandre Djouhri, c'est mon ami» a-t-il déclaré. Interrogé à son tour, vendredi 9 septembre sur RTL, Villepin reconnaît également une proximité: Djouhri est un « ami de très longue date ».
2. Au printemps 2006, Djouhri s'est rallié à Nicolas Sarkozy, à l'occasion d'une rencontre, à l'hotel Bristol où il avait élu domicile. En décembre 2005, l'homme avait déjà obtenu un certificat de moralité, une attestation en bonne et due forme signée par Bernard Squarcini, alors préfet délégué pour la sécurité à Marseille, de la probité morale d'Alexandre Djourhi: « sur le fond, rien de défavorable n'a pu être démontré concernant l'intéressé, et aucun élément lié au terrorisme, grand banditisme ou blanchiment n'a pu être mis en exergue » écrit le futur patron de la DCRI. Bernard Squarcini est un proche de Nicolas Sarkozy depuis 2002.
3. Yazig Sabeg, autre ami d'Alexandre Djouhri, a été nommé haut commissaire à la Diversité par Nicolas Sarkozy en 2010.
4. Alexandre Djouhri serait un homme à la menace facile si l'on en croit les témoignages recueillis par le Monde. L'Express a évoqué des menaces de mort proférées à l'encontre de Patrick Ouart, ancien conseiller Justice de Nicolas Sarkozy. En mai 2010, Ziad Takieddine, l'intermédiaire du clan Sarkozy dans de nombreuses ventes d'armes, accuse tout aussi directement: «J’accuse Jacques Chirac et Dominique de Villepin, à l’Elysée, et leurs hommes, le diplomate Maurice Gourdault-Montagne et un homme de l’ombre, Alexandre Djouhri, d’avoir par leurs agissements fait que la France passe aujourd’hui pour un des pays les plus corrompus au monde et ne vende plus rien à l’international ».
5. Le nom de Djouhri se retrouve chez Serge Dassault. Le propriétaire du Figaro avait trouvé un repreneur pour l'une de ses usines à Corbeil en la personne de Germain Djouhri, fils d'Alexandre.
6. C'est un rival, mieux introduit et plus discret de Ziad Takieddine, cet autre homme d'affaires franco-libanais au coeur de l'enquête du juge Renaud van Ruymbeke sur le volet financier de l'attentat de Karachi.
7. En mai 2010, le site Intelligence Online évoque l'entremise d'Alexandre Djouhri en Russie. Son fils Germain a épousé la fille d'un ancien agent du KGB et proche de Vladimir Poutine, Serguei Chemezov. En mars 2011, ce dernier a été décoré de la Légion d’honneur à l’Elysée, par Nicolas Sarkozy.
8. D'après Pierre Péan, Claude Guéant serait intervenu en 2010 pour exiger d'EADS le versement à Djouhri de près de 13 millions d'euros de commissions sur un contrat de vente d'Airbus à la Libye.
9. Djouhri a oeuvré avec Henri Proglio, le patron d'EDF, pour évincer Anne Lauvergeon, la présidente d'Areva. Cette dernière ne fut pas reconduite à l'issue de son mandat, en juillet dernier. Un long article de Libération, prétendument téléguidé par l'agence Image7 d'Anne Meaux qui gérait l'image d'Anne Lauvergeon, relata l'intrigue en février dernier. Pierre Péan raconte que Djouhri a « sauvé » la tête de Proglio à la tête de Veolia en intervenant pour son compte auprès de Jacques Chirac en 2001. 
Finalement, que retenir ? Semaine après semaine, les sales coulisses de Sarkofrance sont dévoilées, mises à nu, décortiquées: rétrocommissions ou commissions occultes, espionnage de journalistes ou négociations secrètes, arbitrage pour l'ami Tapie, pantouflage des amis ou exécution des ennemis, les sommes donnent le tournis, les agissements la nausée.
La République irréprochable promise par Nicolas Sarkozy sent les poubelles.
Ami sarkozyste, où es-tu ?

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