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Guyane

Publié le 14 septembre 2011 par Egea

Les gazettes s'en sont fait l'écho, les premiers blogs l'ont analysé (fauteuil Colbert, Ice Station Zebra, ici, ici ou ici ): hourra ! on a trouvé de l'or noir en Guyane.

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Hourra, car le sentiment immédiat fut : en France, on avait des idées et voilà que maintenant on a aussi du pétrole. Chic, nous aussi on va devenir rentiers et riches, comme les Norvégiens et les Koweïtiens. Pas si simple.

1/ Précisons d'abord qu'il y a loin de la coupe aux lèvres: c'est un forage au lointain large (150 Km.), en haute mer, avec donc une partie marine puis un creusement en sous-sol jusqu'à plus de 5000 mètres : de la haute technologie. Il faut confirmer le gisement (car même si on parle de milliards de barils, restons prudents avec les nouvelles sensationnelles), construire les systèmes d'exploitation, mettre en service.... tout cela prendra quelques années.

2/ Il est vrai que ceci arrive dans une situation de stress pétrolier, et que la compétition pour les ressources va redoubler l'intérêt de tels gisements, même si le gisement guyanais ne représente que 0,1 à 0,4 % des réserves mondiales. On espère au mieux une production d'un Million de barils jour ce qui nous placerait au rang des producteurs de second rang comme la Malaisie (voir ici) . Suffisant toutefois pour susciter des convoitises, ce qui nous appelle à examiner la situation géopolitique de la Guyane, qui s'avère plus complexe qu'il n'y paraît.

3/ Pour la France, la Guyane est d'abord un DOM (ou plus exactement, une ROM, région d'outre-mer, qui est mono-départementale : si! si! c'est comme ça que disent les spécialistes). Grand par la taille, petit par la population (220.000 habitants) mais avec une population jeune, qui double tous les vingt ans, à cause notamment d'une fécondité "naturelle" provoquée notamment par l'immigration de nombreuses surinamaises qui viennent accoucher de ce côté-ci du Maroni. C'est aussi le département le plus pauvre de France.

4/ On ne s'étonnera pas de l'existence d'un parti indépendantiste qui a une certaine audience, même si la majorité de la population oscille entre la droite traditionnelle et la gauche tout aussi traditionnelle.

5/ La Guyane est surtout une portion de la forêt amazonienne, partageant une frontière avec le Brésil, une autre avec le Surinam. Cette dernière est matérialisée par le Maroni, celle avec le Brésil par l'Oyapock à l'est, et rien au sud. La forêt est à la fois une ressource (biodiversité) menacée (orpaillage clandestin, d'où l'opération Harpie) et qui est difficilement marquable.

5/ Finalement, la question des frontières ne se pose pas à terre, mais risque de l'être à mer : en effet, les demandes d'extension du plateau continental peuvent opposer le Brésil à la France, surtout si le champ de pétrole est à cheval sur les deux souverainetés..... Nul doute que le futur LB devra recommander un renforcement des moyens maritimes dans la région, comme le souhaite vivement le fauteuil de Colbert !

6/ Mais aujourd'hui, l'essentiel de l'intérêt géopolitique réside dans le port spatial de Kourou. Labellisé européen, il est avant tout français. C'est grâce à lui que la France est une puissance spatiale de premier rang (son budget spatial militaire équivaut quasiment à celui de la Russie, mais après ceux des US (no surprise), du Japon et de la Chine, et devant celui de l’Allemagne et, surprise pour le coup, très loin devant la GB.

Guyane
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7/ Or, comme l'explique excellemment JLuc Lefèbvre (Stratégie spatiale, chez Esprit du Livre : je termine de le lire et j'ai déjà questionné l'auteur, billet à paraître), en matière de stratégie spatiale, qui tient les bas tient les hauts. Kourou est une pièce essentielle, d'autant plus que c'est le seul spatioport situé dans la bande équatoriale, ce qui procure de multiples avantages (cela intéresse même les Russes, comme nous l'explique D. Maertens). Si le dispositif maritime est léger (deux P 400), en revanche la Guyane s'honore de deux régiments, placés là, ne vous y trompez pas, pour protéger le CSG.

8/ Jusqu'à présent, donc, la France se contentait de protéger le port spatial, de financer convenablement la Guyane, de contrôler le Maroni, et puis basta, d'autant que la population était assez faible. L'arrivée de pétrole risque de bouleverser l'équation, surtout qu'elle vient renforcer une croissance démographique réelle : le facteur démographico-économique, ça ne vous rappelle rien ? la Tunisie ? l’Égypte ?.

9/ En effet, si la Guyane demeure pro-française, c'est aussi à cause des transferts financiers en provenance de la métropole, et de l'appartenance à l'UE qui lui donne un flux de bien-être non-négligeable, surtout dans la zone des Antilles où les îles "indépendantes" ne font pas toutes envie (c'est gentiment dit, non ?). La malédiction du pétrole peut en revanche frapper : en effet, certains esprits, arguant d’une pauvreté résiliente, pourraient expliquer aisément que la richesse du pétrole doit revenir aux Guyanais, sans même parler de l'exploitation colonialiste de la métropole. La rapidité du mouvement social en Martinique en 2009 suggère que les tensions sont vives. D'autant que l'humeur n'est pas au regroupement, et que les tendances séparatistes se voient partout en Europe : pourquoi pas dans les DOM COM (voir mon billet de 2009) ?

10/ Dès lors, il est urgent pour la France, si elle tient à conserver la Guyane dans la collectivité nationale (et pourquoi ne le ferait-elle pas ?), de prendre un certain nombre de mesures :

  • augmenter rapidement les investissements en Guyane de façon à préparer le territoire à son développement futur
  • réfléchir à son dispositif maritime et probablement le renforcer
  • appuyer plus que jamais l'éducation : l'arrivée du RSA en Guyane le 1er janvier 2011 est certes une bonne chose, mais je ne suis pas sûr que le symbole soit très fort... (8,5% de la population touche le RMI) Avec 21 % de la population au chômage, le département ne doit pas être loin du record de France. Et en PIB par habitant, avec 12887 €/hab, la Guyane est dernière nationale.... (source)

11/ Autrement dit, le calcul est simple : pour conserver le CSG, la France doit faire en sorte que le pétrole guyanais enrichisse réellement les Guyanais. Sinon, un satrape local (comme il en existe tant dans le golfe de Guinée...) captera la rente pétrolière, et les Guyanais n'en profiteront pas.

12/ De façon plus générale, les développements récents en Afrique, au Maghreb et maintenant en Guyane pose la question de la priorité donnée à l'arc de crise : je n'ai pas la réponse, mais au moins faut-il se poser la question.

O. Kempf


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