Quand Clint Eastwood a réalisé Impitoyable en 1992, se doutait-il que tous les westerns qui suivraient les vingt prochaines années seraient jugés à l’aune de ce que l’on a considéré comme les funérailles d’un genre qui a fait les belles heures du cinéma américain ? Il est dit qu’Eastwood, avec son film hommage au genre, avait définitivement enterré un imaginaire cinématographique qui ne pourrait plus être. S’il est vrai que le genre s’est raréfié sur grand écran, il n’est pourtant jamais vraiment mort, n’en déplaise à ceux qui chaque fois qu’un nouveau western réussi débarque sur grand écran l’admirent comme une aberration, une belle mais unique aberration.
A force de crier à la résurrection du western, il serait pourtant temps d’admettre que le western n’est pas mort. Tout juste n’est-il plus ce grand genre populaire qu’il a été, et est passé du côté du cinéma artisanal. Oui, le western est devenu un travail d’orfèvre. Les belles œuvres du genre sont apparues trop nettement ces dernières années pour que l’on puisse décemment qualifier le genre de zombie, ce défunt recouvrant la vie sans être tout à fait vivant. Open Range, L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, The Proposition, Appaloosa… 2011 nous a même déjà gratifiés d’un remarquable western by ze Frères Coen, True Grit, pendant que Kelly Reichardt défiait cet univers d’hommes pour signer un western atypique, contemplatif et fascinant, La dernière piste.
Non, le western n’est décidément pas mort, et ces jours-ci, c’est Blackthorn de l’espagnol Mateo Gil qui vient nous le confirmer. Un film qui vient reprendre et prolonger le mythe de Butch Cassidy, bandit réputé de l’Ouest Américain du 19ème siècle, connu pour avoir été tué au côté de son complice de toujours Sundance Kid en Bolivie, en exil. L’histoire de Butch Cassidy et de Sundance Kid avait été immortalisée à l’écran il y a quelques décennies par George Roy Hill, un film que j’avais justement revu en copie neuve au cinéma il y a quelques mois. Blackthorn imagine que Butch Cassidy a survécu à la fusillade qui les aurait soi-disant tués, lui et Sundance, et que le hors-la-loi a changé de nom une fois de plus (son vrai nom était Robert Leroy Parker), s’est trouvé une petite ferme dans les montagnes boliviennes, et a vécu ainsi anonymement pendant près de trois décennies jusqu’à ce qu’il se décide à rentrer aux États-Unis. Mais sur le chemin, pas encore sorti de Bolivie, il croise la route d’un ingénieur improvisé bandit (Eduardo Noriega) ayant à ses trousses un grand nombre de gâchettes.
Si Paul Newman a prêté ses traits à Butch Cassidy il y a toutes ces années, Mateo Gil a lui offert le rôle à Sam Shepard. L'acteur américain qui ces dernières années a plus souvent joué les seconds rôles de luxe dans les productions hollywoodiennes se trouve ici au cœur de tous les plans ou presque, son visage buriné, sa barbe épaisse, sa silhouette fatiguée mais toujours charismatique. Son Butch est un homme las mais toujours alerte qui se déplace dans un paysage magnifié par la caméra du réalisateur espagnol.
Le western qui a si longtemps été le genre d’action par excellence trouve dans le cinéma d’aujourd’hui tout son sens dans l’expression de cadres esthétiques, dans la langueur de paysages magnifiés. Blackthorn est un voyage à travers la Bolivie, ses montagnes, ses déserts, ses mines. C’est aussi, surtout, un souffle de mélancolie profonde, la mélancolie d’un monde en mouvement où le temps fait plier le passé sans l’écraser. Les souvenirs s’entrechoquent avec le présent, et Mateo Gil joue avec l’imaginaire de Butch Cassidy, les images et souvenirs implantés par le film de George Roy Hill. Il joue sur la distance avec un Butch jeune et ce vieil homme qui se balade à l’écran. Le western est un genre du passé, comme Butch est un personnage du passé dans sa propre histoire, sa propre vie. C’est un roc, que même son plus vieil ennemi (Stephen Rea, formidable) ne peut qu’admirer, lui aussi gagné par la lassitude.
Entre ces plans cherchant la beauté, cette gueule bourrue et gracile de Shepard, et cette voix entonnant avec simplicité quelques chants traditionnels magnifiés par la voix rocailleuse de l’acteur américain, la balade en Bolivie offerte par Mateo Gil est suspendue, aérienne, loin de toute époque. C’est une virée sans âge, amère, magnifiquement cinématographique.