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Le Mède sourit (Cyprien Gaillard)

Publié le 23 septembre 2011 par Marc Lenot

Le Mède sourit (Cyprien Gaillard)Le succès de Cyprien Gaillard au Prix Duchamp avait soulevé quelques controverses, et tout le monde attendait son exposition de lauréat, qui vient d’ouvrir au Centre Pompidou (jusqu’au 9 janvier). La première vision est superbe : cet artiste obsédé par la ruine, la destruction, le passage du temps commence son exposition par deux vestiges, l’un immémorial, une plaque de marbre de Tunisie, polie et couverte de fossiles de coquillages, l’autre récent, une vitre bleutée et réfléchissante provenant du Forum des Halles, monument à peine construit et déjà en cours de destruction. Ces deux vestiges se répondent au-delà du temps et de la distance. Sur ces deux plaques de grande taille, il a sérigraphié le mot UR. Sans doute ces deux lettres évoquent-elles d’abord pour lui la musique techno (Underground Resistance) ou le renouveau urbain (Urban Renewal), comme le dit le cartel. Mais c’est aussi la ville d'Ur en Mésopotamie, d’où partit Abraham, berceau du peuple juif avant sa première installation en Palestine (et ce merveilleux Standard). C’est surtout (même si ce n’est pas souligné ici) le préfixe qui, en allemand puis en anglais, indique ce qui est au tout début, le plus ancien, l’ancêtre de tout : on parle ainsi d’une ur-langue, d’où seraient issues les autres, mais qu’on ne peut que vaguement reconstituer à partir des langues connues, d’un ur-heimat, patrie de cette langue, ou d’une ur-religion, celle d’Adam et d’Eve, celle d’un temps d'avant les ruines, justement. C’est une première pièce très forte, très dense, et qui laisse bien augurer du travail présenté à l’intérieur.

Le Mède sourit (Cyprien Gaillard)
Hélas, quand on pénètre dans la pénombre de l’Espace 315, ces promesses ne sont guère tenues : reprendre 94 fois les séries de neuf polaroïds présentés en carré sur pointe, série commencée il y a cinq ans, et sempiternellement prolongée pour faire une sorte d’encyclopédie des ruines du monde, a pu d’abord séduire, tant par le propos que par sa présentation en vitrines de Muséum. Mais on attendait mieux pour un Prix Duchamp que ce ressassement. La juxtaposition des formes n’obéit, semble-t-il, ni à des liens historiques ou géographiques, ni à des liens formels, ou alors ils sont bien obscurs : on est loin de la connaissance par le montage de Mnemosyne. Attendons que le stock de polaroïds s’épuise et que ceux-ci pâlissent et s’effacent inexorablement.

Le Mède sourit (Cyprien Gaillard)
Les sept présentoirs au centre de la salle viennent du Pérou. Verts, jaunes, rouges, ils forment des sculptures constructivistes dans lesquelles sont enchâssés onze enjoliveurs de roues (dont un partiellement recouvert d’une bâche ?). L’autoréférence au croisillon des photos et à l’origine (Detroit, capitale de l’automobile) du groupe techno UR donne la migraine. Tout ici tient sur la pointe, carrés de photos et présentoirs, dans un équilibre précaire où l’absence de poids est évidente. Tout cela manque de maturité et de distance, et déçoit plutôt après la force de la première pièce.

Le Mède sourit (Cyprien Gaillard)
Heureusement, en partant, un Mède du palais de Sargon II * sourit du coin des lèvres : sauvé de la ruine, muséifié, il résiste à toute réappropriation, à toute damnatio memoriae. On ressort, repassant devant UR, avec, en tête, cette seule image de sa barbe bouclée, de ses cheveux en papillotes sur la nuque et de son incertain sourire. Nous aussi.

* Accessoirement, quand on se targue d'archéologie et s'intéresse aux ruines, qualifier, dans le dépliant distribué à l'entrée,  cet artéfact assyrien (700 av. J. C.) de 'sumérien' (5000 à 2000 av. J.C.), ça ne fait pas très sérieux.

Photos courtoisie du Centre Pompidou excepté la n°3.
1. UR, Underground Resistance and Urban Renewal 2011 Sérigraphies sur verre et marbre fossile noir, 241 x246,5 cm chaque. Courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris.
2. Geographical Analogies 2006 - 2011 mixed media  65 x 48 x10 cm (avec cadre). Copyright Cyprien Gaillard. Courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris/ Sprüth Magers, Berlin London / Laura Bartlett Gallery,London.
4. Fragment de bas-relief : tête d'un tributaire mède. Albâtre gypseux, Khorsabad,
ancienne Dur-Sharrukin. Vers 710 - 706 av. J.-C., Musée du Louvre.


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