Comment ne pas s'identifier (car cela peut arriver à chaucun d'entre nous) et ressentir une réelle empathie pour Marecaux? Comment ne pas frémir pour un homme qui perd sa femme, son bulot, son honneur, et dont les enfants, victimes de pressions nauséabondes de la part des enquèteurs à la solde du juge , craquent et disent ce que l'on veut qu'ils disent avant d'être placés dans des familles d'accueil. La réponse est dans "Présumé Coupable"!
Marécaux l'avoue aujourd'hui, il a longtemps refusé que le cinéma s'empare de son histoire. Comment filmer, sans trahison, le calvaire vécu au jour le jour de celui qu'on a appelé l'«huissier» de l'affaire Outreau, accusé à tort de pédophilie ? « Je ne voyais pas, dit-il, comment le cinéma pouvait raconter avec exactitude ce que j'avais écrit dans mon livre Chronique de mon erreur judiciaire . Ma plus grande crainte était qu'on en rajoute, qu'on invente, qu'on dénature la vérité, sous prétexte de faire du cinéma...
Et le résultat est à la hauteur. Bien entendu, il y a des éllipses, des raccourcis, sans cela il aurait fallu faire deux films. Mais ce qui subsiste, c'est une implacable vérité, celle d'une "Justice" à deux vitesses...et les médias pas très "clean" sur ce coup là....comme bien souvent..Il y avait déjà du parti-pris avant le début de l'enquète..
Le réalisateur:
"Hors de question évidemment de fabriquer de fausses actualités ! On a donc utilisé d’authentiques archives de journaux télévisés. Autant dire que lorsqu’on voit, du point de vue d’Alain, ces actualités à la télé, on se rend compte que les médias ont contribué à accréditer l’idée que les prévenus étaient vraiment pédophiles. D’ailleurs, certains journalistes qui ont réalisé ces sujets ont refusé de réenregistrer leurs voix pour les besoins du film : ils ont aussi demandé à ce qu’on change leurs noms tant ils avaient rétrospectivement honte de leurs reportages. Elise Lucet a été bien plus courageuse et a accepté de réenregistrer pour nous de faux noms de journalistes, et je tiens encore à la remercier. Très peu de journalistes avaient réalisé leur propre enquête, comme Florence Aubenas ou une équipe de télé belge. La plupart s’étaient contentés de la version de l’accusation. Même quand les journalistes employaient le conditionnel, ce qui arrivait parfois heureusement, ça sonnait comme de l’affirmatif. Au début du procès de Saint-Omer, l’immense majorité des journalistes étaient convaincus de venir assister au procès d’un réseau" (on ne peut -être plus clair hein)!
Quand à Raphaël Ferret qui incarne le juge ".Je lui ai demandé de ne surtout pas chercher à l’imiter, mais de partir de sa propre nature et d’essayer par petites touches successives de se rapprocher du profil psychologique de Fabrice Burgaud. Raphaël n’est pas du tout comme ça dans la vie, il a vraiment construit un personnage, ça a demandé beaucoup de répétitions, d’essais de maquillages, de costumes, et petit à petit, le personnage est apparu… Il ne ressemble pas tant que ça à Fabrice Burgaud, mais pourtant, un jour où les soeurs d’Alain sont venues nous rendre visite sur le tournage, quand elles l’ont vu, elles l’ont tout de suite reconnu et se sont mises à pleurer
Comment le monde judiciaire va-t-il réagir à ce film ? Torreton est plutôt optimiste. «Sans aucune provocation, je pense qu'il ne peut que bien réagir. La justice française n'est pas une des pires au monde. Ce n'est pas un film contre la justice, c'est un film qui aborde l'incompétence et l'inexpérience d'un juge d'instruction. Fabrice Burgaud n'est pas le méchant du film, c'est l'incompétent. » C'est dit! ET le prohain récipiendaire d'un César pourrait-être Torreton, tant son interprètation est hallucinante>.
Entretien avec Phillippe Torreton
Comment s’est passée votre rencontre avec Vincent Garenq ?
Quand j’ai rencontré Vincent Garenq, après avoir lu le scénario, je lui ai dit que nous, les acteurs, étions là pour rencontrer ce genre de rôle. Pour moi, cela allait bien au-delà du cinéma : c’était comme un cri que je me sentais obligé de pousser à la place de quelqu’un.
C’est la première fois que vous incarnez un personnage réel. Qu’est-ce que cela change ?
Au départ, je m’étais dit que c’était une chance : si j’avais un doute, je pouvais me tourner vers Alain Marécaux et l’interroger. D’ailleurs, après l’avoir rencontré, il m’a dit que je pouvais le contacter quand je voulais. Mais au final, je ne l’ai pasfait. Sans doute parce que je ne m’en sentais pas le droit : j’aurais eu le sentiment d’être une sorte de sangsue d’émotions et je n’avais pas l’impudeur de lui demander, par exemple, à quel moment il avait craqué ou pleuré etc. Tout ce que je devais savoir était contenu dans le scénario. J’étais convaincu qu’il fallait s’accaparer le personnage et le réinventer.
Du coup, comment avez-vous travaillé le rôle ?
Je me suis isolé de tout le monde. Je sentais que c’était à moi, et à moi seul, de «craquer» et que personne ne pouvait m’aider – même pas Vincent Garenq. Personne ne peut aider un acteur à aborder ce type de personnage et de registre émotionnel. Ma seule obsession était d’être juste : je me demandais quelle tête on a quand on va en prison pour la première fois ou quand on se fait déshabiller dans une petite pièce oµ les flics vous fouillent à corps sans ménagement, surtout quand on ne l’a pas vécu. Et même si j’étais passé par là, je ne suis pas sûr que cela m’aurait beaucoup servi.
De même, vous ne vous êtes pas spécialement documenté sur l’affaire d’Outreau ?
Je n’en avais pas besoin. Je n’avais que deux bibles : le livre d’Alain Marécaux et le scénario, validé par ses soins. Même si j’étais devenu spécialiste de l’affaire, cela ne m’aurait pas aidé dans mon travail d’acteur. Ce film est une caméra braquée sur un homme, à partir d’un matin de novembre, il y a dix ans, à 6h30 du matin, et qui le lâche trois ans plus tard. Ce n’est pas un film sur l’affaire d’Outreau : c’est un film sur trois ans de cauchemar vécus par Alain Marécaux.
Vous avez accepté de perdre 27 kilos pour les besoins du rôle, et votre métamorphose est proprement vertigineuse. Comment l’avez-vous vécue ?
Je suis allé voir un nutritionniste qui m’a dit qu’il ne cautionnait pas ce régime parce que j’avais trop de poids à perdre en trop peu de temps. Je me suis donc débrouillé tout seul, en m’astreignant à un régime des plus draconiens et en perdant 300 grammes par jour. C’était une discipline de vie terrible qui nous a d’ailleurs obligés à interrompre le tournage pour me laisser maigrir. Avec le recul, je crois que je suis entré dans une phase dépressive : j’ai passé toute cette période dans les larmes, l’isolement, l’hébétude, et le désir de mort.
Comment la production a-t-elle accueilli votre détermination ?
La production a envisagé de faire appel à une doublure pour les scènes où j’étais censé être le plus maigre, mais je préférais éviter cette option. Et effectivement, quand Vincent Garenq est venu me voir dans la cabine de maquillage, très peu de temps avant la deuxième partie du tournage, il m’a dit qu’il allait téléphoner à la doublure pour lui dire qu’on n’en avait pas besoin.
Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment du tournage ?
Comme j’étais constamment menotté et qu’on me prenait sans cesse sous les aisselles pour me balloter dans un fourgon ou dans une voiture, j’ai tourné le film dans un état de fragilité permanente. Je me souviens que, quand j’étais totalement amaigri, le seul contact de la main de la maquilleuse sur mon épaule et les poils de son pinceau sur ma joue me faisaient pleurer. C’était une réplique, comme il y a des répliques de tremblement de terre.
Ressort-on totalement indemne d’une telle expérience ?
Quand j’y repense, j’ai souvent les larmes aux yeux. Ce que je me dis, c’est que ce film m’a permis de rencontrer un type formidable – Alain Marécaux – et un metteur en scène passionnant. Et pour moi, en tant qu’acteur, c’est la première fois qu’on m’a proposé un rôle qui ait trait à l’abandon : mon personnage est un homme qui n’a plus de repères, qui est coincé dans son drame et sa prison, et qui perd espoir. C’est en cela que c’est un film sur l’abandon.
Comment Alain Marécaux a-t-il réagi après vous avoir vu à l’écran ?
Il m’a dit que cela lui faisait bizarre de voir quelqu’un qui endossait sa douleur et qu’il avait l’impression qu’il s’agissait d’une sorte de passage de relais. Je pense que c’est vrai – mais seulement d’un point de vue symbolique. Je me souviens aussi de la marraine d’Alain qui n’était pas enchantée à l’idée qu’un acteur joue son filleul. Après avoir vu le film, elle m’a dit une des plus belles choses que j’aie jamais entendues : «Je sais maintenant à quoi sert le métier d’acteur.» Effectivement, les acteurs servent à placer une caméra où il n’y en a jamais eu et où il n’y en aura jamais.
Pensez-vous que le film puisse jouer un rôle d’éveilleur de conscience ?
Si j’en crois des amis avocats qui l’ont vu, ce film devrait être projeté dans le cadre de formations juridiques. Ce que j’espère surtout, c’est que les spectateurs se rendront compte de la fragilité du témoignage humain. Et de la fragilité de l’homme
Sources vision-presse et dossiers de production Cinéart Belgique.