Annoncer des apparitions suppose qu’on va voir apparaître quelque chose qui n’était pas vu auparavant. Et le support de l’image en mouvement s’y prête bien. Ainsi le hibou de Bertrand Gadenne n’est pas seulement une photo sur une affiche mais il semble, au mouvement qu’il fait, que vous lui apparaissez soudain et qu’il s’inquiète de votre approche. Mais l’image est en boucle et, même si l’impression reste particulière, on peut anticiper ses mouvements.
Dans une autre installation, c’est encore vous l’apparition : il s’agit d’un miroir, installé par l’Atelier Mooslin, et dans lequel votre reflet apparaît à une certaine distance en même temps qu’un éclair en zèbre la surface et que le tonnerre se fait entendre.
L’orage, les éclairs, c’est aussi dans une installation d’Ange Leccia vue au Mac/Val de Vitry-sur-Seine. Ici cet artiste expose ses Explosions, devant lesquelles je ne suis pas resté, tandis que ses vues sur La mer m’ont captivé plusieurs minutes : la verticalité fait penser aux tableaux et il faut du temps pour rétablir l’horizontal. Vertige.
J’avais vu, au Palais de Tokyo, des fourmis. Ici, des souris mangent un chien réalisé en biscuits pour animaux par Michel Blazy, et, plus loin, Bertrand Gadenne a enfermé l’image d’un rat de taille humaine qui disparaît parfois dans un angle de la cellule où il cherche ses repères. Contrairement au Palais de Tokyo, nous n’avons ici que les images vidéo.
Il faudrait parler des mains actives d’Edith Dekyndt travaillant la matière solide ou liquide et réalisant des œuvres éphémères (bulles de savon, limaille de fer magnétisée, encre noire) qui ont à voir avec la sculpture et la peinture d’une manière très surprenante – un jeu de reflet, sur la photo que j’ai prise, donne l’impression que ces mains enserrent la silhouette fantomatique réalisée par Yuki Onodera.Ou encore d’Ann Veronica Janssens, nous invitant à entrer dans un brouillard tellement dense qu’on ne voit pas ses propres pieds et qu’on perd très vite tout repère visuel, tout en étant dans une lumière très blanche. Cette artiste nous fait vivre une expérience corporelle qui révèle l’importance de la vision dans nos perceptions. Elle poursuit cette expérience avec la vidéo d’un match de foot qui s’est réellement joué en 1999 dans un total brouillard.
L’exposition montre aussi des disparitions : dans les miroirs d’Olivier Sidet où le regardeur voit tout ce qui l’environne mais ne peut se voir lui-même.
Et ce film de Jun Nguyen-Hatsushiba où des pêcheurs tirent et poussent des pousses-pousses au fond de l’océan ; j’ai d’abord pensé à ce texte d’Henri Michaux : « Ma vie: Traîner un landau sous l'eau. Les nés-fatigués me comprendront. » Puis, lorsque la caméra dépasse les pousses-pousses et file vers l’avant pour nous faire aboutir à une sorte de cimetière matérialisé par des voiles au fond de l’eau, j’ai pensé à ces boat-people dont beaucoup ont disparu, et aux bateaux surchargés de migrants qui coulent avec leurs passagers…