A la Une du Monde daté du 7 juin dernier, figurait une toile représentant le portrait d’un combattant palestinien, intitulée Al Maw’oud’ ; le visage, enveloppé dans un keffieh, reposait sur un fond floral. Cette œuvre forte, qui avait été choisie pour annoncer un article de Philippe Dagen consacré à la présence d’artistes arabes lors de la Biennale de Venise, est signée du peintre libanais Ayman Baalbaki. Dans mon compte rendu de l’exposition Arabicity qui s’était tenue en 2010 à Beyrouth, j’avais déjà souligné que, parmi les nombreux plasticiens présents, ce dernier se distinguait nettement par la puissance évocatrice de ses créations, toiles autant qu’installations. La visite que je lui ai récemment rendue dans son nouvel appartement-atelier très lumineux, situé au dernier étage d’un immeuble beyrouthin, a confirmé ce sentiment.
Cet artiste, diplômé de l’Institut des Beaux-arts de l’Université Libanaise, de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs de Paris et titulaire d’un DEA de l’Université Paris VIII ne fait pas mystère de l’influence qu’exerça sur lui son maître Marwan Kassab Bachi (né à Damas en 1934), l’un des plus célèbres peintres arabes, proche de l’expressionnisme. On retrouve d’ailleurs une forme d’expressionnisme dans des œuvres déjà anciennes, la série des Quartiers de bœuf (2001) qui s’inscrivent dans une thématique chère à Rembrandt, Soutine et Francis Bacon, tout comme dans ses variations sur la Tour de Babel (2006) qui le relient à Bruegel l’Ancien.

Cependant, la principale source d’inspiration d’Ayman Baalbaki se trouve dans son parcours personnel, dans ce curieux destin qui le fit naître à Odeissé (une petite ville située près de la frontière avec Israël) en 1975, année où éclata la guerre civile libanaise, laquelle jeta sa famille, comme tant d’autres fuyant les combats, sur les routes d’un perpétuel exode. Ce thème de l'errance est fréquemment traité dans des installations, comme Bonjour Wadi Abu-Jamil ! (2006, Wadi Abu-Jamil étant un quartier dans lequel il vécut, aujourd’hui totalement métamorphosé), B110037 (2004) ou Destination X (2010), qui représentent des paquetages de fortune ou des voitures surchargées d’objets quotidiens et de bagages, viatiques dérisoires, mais aussi symboliques que réels, d’un nomadisme forcé.




Faisant allusion à l’architecture de Versailles, René Huyghe affirmait que « la ligne droite [était] le symbole du pouvoir absolu ». Il évoquait naturellement la droite horizontale. Dans les toiles d’Ayman Baalbaki, ce sont des droites verticales qui dominent et s’élancent d’autant plus vigoureusement vers le ciel que le cadrage choisi est souvent en contreplongée. Ce parti pris pictural crée une dynamique des plus étranges, accentuée par la présence, sur les murs et dans le ciel, de ces tissus imprimés fleuris, joyeux, donc incongrus, sur lesquels l’artiste travaille directement, par juxtaposition de matière, de couleurs. Ces tissus ont une histoire ; on en rencontre, parfois, tendus entre des piquets, formant le fond d’une de ces boutiques improvisées qui bordent les routes, mais ils servirent surtout à tailler des robes pour les femmes chiites des zones rurales du Liban Sud avant que l’Islam politique iranien ne les incite à se couvrir d’un voile noir.


Illustrations : Ayman Baalbaki, photographie par Ali Tabbal - Destination X, 2010, installation - Mon Dieu!, 2008, technique mixte sur panneau, 210 x 127 cm - Portrait, 2011, acrylique sur toile, 233 x 157 cm - Œil pour œil, 2008, technique mixte, 275 x 200 cm - Holiday Inn Seeking the Heights, 2010, acrylique sur toile, 200 x 210 cm - Ici est ailleurs, 2009, acrylique sur toile, 180 x 250 cm - Burj El Murr, 2011, acrylique sur toile, 200 x 150 cm - Photos © Ayman Baalbaki.
