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Dans l'obscurité d'une grotte, le Publicis confond VF et VO

Par Tred @limpossibleblog
Dans l'obscurité d'une grotte, le Publicis confond VF et VOLe Publicis est l’un de mes cinémas préférés de Paris. Je m’en cache rarement, mentionnant régulièrement les deux salles du haut des Champs-Élysées dans mes billets, louant la qualité de projection absolument irréprochable du cinéma le plus agréable de la plus célèbre avenue parisienne, mais également sa programmation parvenant à se démarquer. Le confort, le public sage, l’accueil impeccable en font un cinéma incontournable. Et où donc, sinon au Publicis, aurais-je enfin pu voir Votre Majesté au début du mois, sortie technique sacrifiée mais plutôt réjouissante malgré une réputation peu flatteuse ? Je n’aurais pas pu, tout simplement.
La comédie de David Gordon Green n’est certainement pas la plus mémorable de l’année, mais les facéties de Danny McBride et le duo qu’il y forme avec son improbable valet m’ont plus déridé que toutes les comédies américaines de l’été (réunies ?). Je me demande encore à quel point le père qui se trouvait le rang derrière moi dans la salle s’est trouvé mal à l’aise devant le film, ayant décidé d’y emmener son fils qui n’avait pas l’air d’avoir plus de 11 ans. Le paternel peu alerte sur l’humour du film qu’il s’apprêtait à voir vantait à son fiston les aventures et les dragons qu’ils verraient à l’écran, quand en réalité, il s’agissait plus d’humour salace, de blagues sous la ceinture, et de pénis de minotaure porté comme un trophée. Hum… pas évident à voir avec son gamin j’imagine, s’il s’attendait à une aventure pour toute la famille.
Mais je m’écarte de mon sujet, car en commençant à écrire ces lignes, l’intention n’était pas de louer le Publicis, mais de lui pousser un coup de gueule mérité. Plus d’un mois après sa sortie en salles, j’étais cette semaine déterminé à voir La grotte des rêves perdus de Werner Herzog, le documentaire que le cinéaste allemand a consacré à la grotte de Chauvette en Ardèche. Une plongée en 3D dans l’un des sanctuaire de la peinture rupestre, inatteignable pour le public, l’héritage des hommes préhistoriques étant interdit d’accès à d’éventuels visiteurs par souci de conservation de ce trésor de l’humanité. Herzog a été exceptionnellement autorisé à tourner dans la grotte, à laisser sa caméra glisser sur les murs peints, à s’enfoncer dans ces entrailles terrestres mystérieuses et fascinantes, à interroger les scientifiques travaillant à percer ses secrets et son histoire.
Dans l'obscurité d'une grotte, le Publicis confond VF et VOA l’origine, je ne tenais pas à voir La grotte des rêves perdus, la faute à une bande-annonce en VF peu enthousiasmante (les scientifiques français parlant à l’évidence en anglais mais doublés par leurs propres soins en français avaient quelque chose de ridicule). Mais la critique a peu à peu fait naître le désir en moi, contre toute attente, criant à la beauté de la 3D. Lorsqu’enfin je me suis décidé à aller le voir, je me suis promis deux choses. La première, de voir le film en 3D, tant il apparaissait que celle-ci était un véritable atout pour le documentaire de Herzog. La seconde, de le voir en VO. Hors de question de le voir en VF à la vue de cette bande-annonce peu probante.
Lorsque le film est alors apparu sur le programme du Publicis, pour une projection en VO et en 3D, l’affaire était emballée, et le rendez-vous pris en fin de semaine d’exploitation, un mardi soir. Après les pubs et bandes-annonces (Another Earth, alléchant !), le film commence… avec la narration en français avec accent germanique de Volker Schlöndorff, que je savais s’occuper de faire la voix-off dans la version française du film en lieu et place de Werner Herzog en VO. Mille pensées se sont alors bousculées dans mon esprit… « Merde, il faut que je sorte leur dire qu’ils se sont plantés ! »… « Attend c’est peut-être juste la voix-off qui est en français… »… « Non c’est pas possible c’est Herzog lui-même qui narre le film en VO »… « Ils sont au courant qu’ils ont pas mis la bonne version ? »… « Attend t’es sûr que c’était écrit VO sur le programme ? »… « Mais oui je suis sûr »… « Bon de toute façon ça va rien changer si je monte me plaindre, et de toute façon si je le vois pas en VF maintenant je risque de pas le voir du tout en 3D au ciné, tant pis »…
Il s’en bouscule des réactions dans le cerveau quand on est pris de court et déçu à l’ouverture d’un film. Le cinémaniaque en moi bouillonne devant cette traîtrise du Publicis. Je viens chez eux expressément pour voir le film en VO, et je me retrouve devant une VF agaçante. Oui, la VF est vraiment agaçante. Quelle idée de faire une VF d’un tel documentaire, mais là c’est le distributeur Metropolitan qu’il faut blâmer pour une telle hérésie. Certes presque tous les intervenants sont français, et certains parlent même directement dans notre langue à l’écran… mais une bonne partie du temps, les scientifiques français interrogés dialoguent en anglais avec Werner Herzog, et plutôt que des sous-titres, voilà que c’est le scientifique lui-même qui se double en français (avec accent florissant du sud pour la plupart). Mais attention, pas un doublage synchrone comme dans un film américain, non, le doublage est désynchronisé, et le doublage en VF chevauche la version originale en anglais, comme dans un bon vieux reportage de JT de sous les fagots avec le journaliste qui double lui-même ce que son interviewé raconte.
Dans l'obscurité d'une grotte, le Publicis confond VF et VOPrécisément le genre de VF qui peut à la limite passer pour un reportage que l’on regarde d’un œil à la télé, mais qui sur grand écran gâcherait presque un film. Mais comment les mecs de Metropolitan peuvent-ils oser nous sortir un doublage aussi bas de gamme ?! Devant cette exploration spéléologique qui confère parfois au sublime et requiert que nos sens soient en éveil et les plus attentifs possibles, un tel doublage déconcentre et atténue l’effet que pourrait procurer cette plongée en 3D quasi hypnotique parfois. Je voudrais oublier qu’il s’agit d’un film, oublier la salle de cinéma, oublier ces pesantes lunettes et m’absorber pleinement dans ce voyage à travers le temps où ce que l’on voit à l’écran n’a plus bougé depuis des milliers d’années, mais cette VF balbutiant par-dessus la VO m’en empêche. (A bien y réfléchir, le film aurait gagné à moins faire intervenir les scientifiques, dont les commentaires sont parfois étonnamment surjoués et peu passionnants)
Heureusement, de temps en temps, les français parlent en français, et j’oublie quelques minutes que dans les minutes qui suivront, d’autres parleront en anglais redoublés par-dessus. Alors quoi, personne au Publicis ne s’est-il rendu compte que le film qu’ils projetaient était en VF et non en VO comme annoncé sur leur programme (aussi bien sur Internet qu’à l’entrée de la salle…) ? Estiment-ils que cela n’a après tout pas d’importance étant donné que le film est tourné en France et figure de nombreux intervenants français ? N’estiment-ils pas nécessaire de prévenir le spectateur, à la caisse, que le film est en fait en VF et non en VO comme annoncé ? Ou bien tout ceci n’est-il que de la faute de Metropolitan qui ne fait en réalité circuler le film que dans cette VF désastreuse (même si cela n’expliquerait pas la mention de VO dans le programme) ?
Mon histoire d’amour avec le Publicis en a pris un sérieux coup. Espérons qu’elle n’aura plus à souffrir de telles déceptions à l’avenir… Malgré cette déconvenue, je ne peux passer sous silence l’une des merveilles du film d’Herzog : la 3D. J’ai trouvé avec La grotte des rêves perdus le meilleur usage fait de la technique au cinéma ces deux dernières années. Jamais l’immersion en relief n’a été plus valorisante et plus indispensable que dans le film de Herzog, qui parvient à nous faire frôler ce pan si délicat du passé qui nous est invisible dans la réalité, mais prend forme avec grâce sur grand écran. Voilà enfin un film qui prouve que la 3D peut servir un film et non le desservir. Cette découverte valait bien de ronchonner un peu.

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