Magazine Bien-être

L'enfance et la vision nouvelle

Publié le 28 septembre 2011 par Joseleroy

Sur l'enfance, et son regard...

 

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dessin de Lorène Le Roy

"Tout apparaissait Neuf et Étrange au début, ineffablement rare, et Délicieux, et Beau. J'étais un petit Étranger et à mon Entrée dans le Monde j'étais Salué et Entouré de Joies innom­brables. Ma Connaissance était Divine (...). Mon Ignorance même était Avantageuse. Je ressemblais à quelqu'un Amené dans l'État d'Innocence. Toutes Choses étaient Intactes, Pures et Glorieuses : oui, et infiniment miennes, Joyeuses, Précieuses. (...) Le Blé était Froment Immortel couleur du Levant, qui jamais ne serait moissonné et jamais n'avait été semé. Je pensais qu'il s'était tenu là d'Âge en Âge. La Poussière et les Pierres de la Rue étaient aussi Précieuses que I'Or. Les Grilles du Portail étaient d'abord le Terme où finissait le Monde. Les Arbres Verts quand je les vis pour la première fois à travers l'une des Grilles me Transportèrent et me Ravirent ; leur Douceur et leur Beauté extraordinaire firent bondir mon Cœur, et [me rendirent] presque fou d'Extase, tellement ces Choses étaient étranges et Merveilleuses. Les Hommes ! O quelles Créatures Vénérables et dignes de Révérence semblaient les Vieillards ! D'Immortels Chérubins ! Les jeunes Hommes semblaient des Anges Éclatants et Resplendissants, les jeunes Filles d'étranges et Séraphiques Fragments de Vie et de Beauté ! Les Garçons et Filles Culbutant et Jouant dans la Rue étaient des Joyaux en mouvement. Je ne savais pas qu'ils étaient Nés ou devaient Mourir. Mais toutes choses demeuraient Eternellement telles quelles à leurs Places Respectives. L'Eternité était Manifeste dans la Lumière du Jour, et quelque chose d'infini Derrière chaque chose transparaissait qui parlait à mon Attente, Éveillait mon Désir. La Ville semblait se tenir en Eden, ou être Construite au Paradis. Les Rues étaient miennes, le Temple était mien, les Gens étaient miens, leurs Vêtements, leur Or et leur Argent était miens, tout comme leurs Yeux Pétillants, leurs Peaux claires et leurs frais visages. Les Cieux étaient miens, ainsi l'étaient le Soleil, la Lune et les Etoiles, le Monde entier était mien ; et j'en étais le seul Spectateur, le seul à en Jouir. Je ne connaissais ni Possession Grossière, ni Limites ni Divisions ; mais toute Possession et Division étaient miennes : tous les Trésors et tous leurs Possesseurs. De sorte que ce n'est qu'[à force de] beaucoup de simagrées que je fus corrompu ; et conduit à apprendre les Stratagèmes Abjects de ce Monde. Ce que je désapprends aujourd'hui redevenant, pour ainsi dire, petit Enfant afin que je puisse entrer dans le Royaume de DlEU."

Thomas Traherne, Les centuries, ed. Arfuyen, 2011, traduction Magali Jullien.

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