Anthologie permanente : Christophe Manon

Poezibao publie aujourd’hui une note de lecture du livre de Christophe Manon, Testament, par Jean-Pascal Dubost 
 
Ballade 
 
qu’en cyanure et en arsenic de roche 
en vitriol en ricine et en polonium 210 
en plomb bouillant pour mieux les concasser 
en suie et poix délayés dans l’eau de lessive 
faite d’étrons et de pisse de chacal 
en sueur de roubignoles de lépreux 
en raclures de pieds et de vieilles godasses 
en sang de putois et poisons avariés 
en bile de loup de renards de blaireaux 
soient frites ces langues de vipère 
 
qu’en la cervelle d’un chat qui déteste chasser 
noir et si vieux qu’il a perdu ses dents 
en bave et salive d’un vieux clébard 
(qui vaut autant) malade de la rage 
en l’écume d’une mule poussive 
tranchée menue avec de bons couteaux 
en eau où les rats plongent leurs museaux 
grenouilles crapauds et bêtes dangereuses 
serpents lézards et autres beaux oiseaux 
soient frites ces langues de vipère 
 
qu’en plastique explosif 
et dans l’anus d’un anaconda vivant 
dans le sang contaminé qu’on met en sachets 
les nuits de pleine lune 
l’un noir l’autre plus vert qu’un glaviot 
en chancre et en tumeur 
et dans les eaux claires des égouts de Paris 
dans les bains de bidet des putains 
(celui qui ne comprend pas 
n’a jamais fréquenté les bordels) 
soient frites ces langues de vipère 
 
camarade passe tous ces bons morceaux 
(si tu n’as ni chinois ni tamis ni blutoir) 
par le fond d’une culotte pleine de fiente 
mais qu’auparavant dans des étrons de pourceaux 
soient frites ces langues de vipère 
 
Christophe Manon, Testament (d’après Villon), Laureli Léo Scheer 2011, pp.50-51 
 
 
 
Ballade de bon conseil aux cailleras des cités* 
 
 
car que tu sois trafiquant tricheur 
ou joueur de poker faux-monnayeur 
tournant en rond comme un taulard 
traître parjure sans code de l’honneur 
que tu sois voleur que tu dérobes ou pilles 
où crois-tu que s’en va le butin 
tout au bistrot et aux putains 
 
rime raille fais du rap ou du slam 
comme ces crétins sans vergogne 
fais le bouffon deale du shit ou de la coke 
passe ta tronche à la TV 
produis des jeux des divertissements 
gagne au loto au bingo ou au tiercé 
aussi bien le profit finira : 
tout aux bistrots et aux putains 
 
si tu recules devant de telles horreurs 
fais-toi ouvrier ou artisan 
répare les bagnoles et les frigos 
si tu n’as pas fait d’études 
tu gagneras assez si ça te va 
mais si parfois tu travailles au black 
ne laisses-tu pas le grain de ton boulot 
tout aux bistrots et aux putains 
 
portables vestes de survet 
joggings et paire de Nike 
avant que vous ne fassiez pis portez 
tout aux bistrots et aux putains 
 
Christophe Manon, Testament (d’après Villon), Laureli Léo Scheer 2011, pp.58-59 
 
 
 
* Pour la curiosité du lecteur, nous portons ici le poème original de François Villon (d’après notre édition aux éditions Champion Le Testament Villon, (édition bilingue) et dans la langue du XV^e siècle) 
 
Ballade [de bonne doctrine a ceulx de mauvaise vie] 
 
Car ou soies porteur de bulles,    
Pipeur ou hasardeur de dez, 
Tailleur de faulx coings et te brulles 
Comme ceulx qui sont eschaudez, 
Traitres parjurs, de foy vuidez, 
Soiens laron, raviz ou pilles, 
Ou en va l’acquest, que cuidez ? 
Tout aux tavernes et aux filles. 
 
Rime, raille, cymballe, fluctes, 
Comme folz fainctilz, eshontez, 
Farce, broulle, joue des fluctes, 
Faiz es villes et es cytez 
Farces, jeuz et moralitez, 
Gaigne au berlant, au glic, aux quilles, 
Aussi bien va, or escoutez, 
Tout aux tavernes et aux filles. 
 
De telz ordures te reculles ? 
Labourre, faulches champs et prez, 
Sers et penses chevaulx et mulles, 
S’aucunement tu n’es lectrez : 
Assez araz, se prens en grez ! 
Mais, se chanvre broyes ou tilles, 
Ne tens ton labour qu’as ouvrez 
Tout aux tavernes et aux filles ? 
 
Chausses, pourpoins esguilletez, 
Robes et toutes voz drappilles, 
Ains que vous fassiez piz, portez 
Tout aux tavernes et aux filles ! 
 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
Bio-bibliographie de Christophe Manon