Magazine Cinéma

Icare qu’on assassine

Par Borokoff

A propos de De bon matin de Jean-Marc Moutout 2 out of 5 stars

Jean-Pierre Darroussin - De bon matin de Jean-Marc Moutout - Borokoff / Blog de critique cinéma

Jean-Pierre Darroussin

Comme tous les matins, Paul se rend sur son lieu de travail, une banque. Sauf que cette fois, il descend deux de ses collègues. Réfugié dans son bureau, Paul revit les trente dernières années de sa vie en essayant de comprendre comment il a pu en arriver là…

 Construit en flashbacks, De bon matin s’inspire d’un fait divers réel survenu en 2004 où un banquier avait assassiné deux de ses collègues avant de se donner la mort dans son bureau.

Comment peut-on en arriver là, avoir un tel dégoût de soi et de la vie ? C’est la question lancinante qui traverse le film de Jean-Marc Moutout, interprété par un Darroussin bouleversant et que l’on a rarement vu à cette hauteur dramatique.

L’approche psychologique est celle qui prédomine dans De bon matin. Paul est un type centré sur lui, intéressé surtout par l’argent et l’appât du gain. Un brin cynique, fier de lui, il a construit son succès sur une carrière brillante dans le secteur bancaire. Mais après trente années de bons et loyaux services, voilà qu’on lui propose soudain un poste placard qui l’humilie. Et son patron (Xavier Beauvois), implacable, ne lui fait aucun cadeau. La machine à détruire les hommes est en marche.

Jean-Pierre Darroussin - De bon matin de Jean-Marc Moutout - Borokoff / Blog de critique cinéma

Ce qui est paradoxal dans le destin tragique de Paul, c’est qu’il a quelque de terriblement ordinaire. Des faits divers comme celui-là peuplent les journaux, de l’affaire Dupont de Ligonnès à celle des salariés de France Télécom en passant par le type qui faisait semblant d’aller travailler depuis vingt ans et tua un jour toute sa famille (thème de L’adversaire de Nicole Garcia avec Daniel Auteuil).

C’est l’histoire d’un navire qui se croyait insubmersible mais coula en moins de deux. Ou comment un type aussi brillant que Paul a pu tomber si bas. En arrière-plan, il y a la crise financière mondiale auxquelles les banques n’ont pas échappé. Mais ce système bancaire qui s’asphyxie, Paul réalise qu’il y a non seulement participé mais qu’il l’a monté depuis les années 1980. Arroseur arrosé, serpent qui se mord la queue… Les prémices de ce craquage, Paul les a ressentis dix ans plus tôt sans qu’il ne réagisse véritablement. La spéculation à laquelle se sont adonnées les banques, tous les abus (subprimes notamment) qu’elles ont permis ou sur lesquels, dans le meilleur des cas, elles ont fermé les yeux, Paul les observait en pressentant que le système imploserait. Mais il n’a rien fait pour changer…

Jean-Pierre Darroussin - De bon matin de Jean-Marc Moutout - Borokoff / Blog de critique cinéma

Dans De bon matin, un type intelligent, doué, s’aperçoit avec une étrange lucidité que le monde s’écroule autour de lui et qu’il assiste, impuissant, au spectacle de sa propre échéance. « Il est trop tard », semble se répéter Paul qui peut pourtant compter sur l’amour de sa femme et de son fils.

Trop tard pour réagir, pour inverser la tendance. En un sens, il a été passif et laissé le système s’embourber pendant des années. Si De bon matin est joué par un Darroussin dont on a dit qu’il livrait une prestation de très haut vol, c’est la construction du film qui dérange davantage, la réalisation qui peine à convaincre. Un scénario tout en flashbacks constitue un des paris les plus audacieux et les plus difficiles pour un metteur en scène. Parce qu’il faut maintenir un rythme, une tension qui vont à l’encontre d’un scénario  privilégiant la lenteur (souvenirs) et un certain aspect figé des choses. A cause des flashbacks, il faut lutter continuellement contre un éventuel ennui qui guetterait le spectateur. On se souvient que dans Je l’aimais, Zabou Breitman n’avait pas tenu le pari, ne parvenant pas à rendre vivante cette histoire d’amour qu’elle racontait en flashbacks (malgré un très bon Daniel Auteuil).

Dans De bon matin, c’est le montage qui fait défaut. Les souvenirs de Paul sont montrés de manière un peu éparpillée voire confuse (passages pas très clairs sur l’Afrique). En revanche, l’évolution du personnage est bien décrite. A mesure que Paul s’ouvre de plus en plus aux autres, il poursuit paradoxalement une chute irrémédiable. Lucide, de plus en plus humain, il semble pris au piège qu’il s’est lui-même tendu.

Une question demeure cependant : que serait réellement De bon matin sans Darroussin ?

www.youtube.com/watch?v=ZlV60VQ8jaY

 Film français de Jean-Marc Moutout avec Jean-Pierre Darroussin, Valérie Dréville, Xavier Beauvois (01 h 31).

Scénario : 2 out of 5 stars

Mise en scène : 2 out of 5 stars

Acteurs : 4 out of 5 stars

Dialogues : 3 out of 5 stars


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Borokoff 641 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines