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Work in progress

Publié le 15 octobre 2011 par Siheni

Work in progress T’en souviens-tu ? T’en souviens-tu ? Antoine, une seconde, est comme porté par le vent. Il jette un regard à sa montre. C’est Vasile, le vieux Roumain de permanence, qui la lui a rendue tout à l’heure. Un imperceptible sourire aux lèvres, il tourne à nouveau la tête du côté de la vitre embuée. Du bout de l’index, il y trace un petit rond, à hauteur de son nez. Toujours du bout de l’index, il frotte distraitement l’intérieur du rond, y ouvrant ainsi un œil lisse, exorbité. Il se penche comme il se pencherait sur le trou d’une serrure. Il aimait, enfant, regarder par les trous des serrures ; oui, tu t’en souviens. C’était son secret à lui, un vrai secret, il ne s’en était jamais ouvert, il y a si longtemps, si longtemps, ses voyages, ses aventures parmi des mandalas d’étoiles. Quel âge avait-il ? Etait-il réellement malheureux ? La maison de ses vieux, dont on disait qu’ils étaient riches, était spacieuse, aussi profonde que l’intérieur d’un navire, où l’on plongeait, plein de coursives et de décrochements, des enfilades de portes et des courants d’air battant comme des draps humides dans l’immensité de longs couloirs perchés entre de hautes parois. On y accédait par une allée privée, ratissée chaque jour par un petit vieux de la mairie, fermée par un épais portail flanqué d’une caméra. Les années ont passé. On a dû déménager. Plus de trous de serrures. L’argent était venu à manquer. Puis cette histoire avec Macha, le procès dans la suite, l’incarcération, enfin. Ça c’était quelque temps après la faillite du père d’Antoine, le gros Henri Musrat, Henri Kronenbourg, comme on disait en ville derrière la paume de sa main. Antoine a maintenant un peu plus de trente ans – trente ans ! -, il sent le contact froid, la vibration de cet œil de verre écarquillé contre le sien, contre son front, le même froid que la goutte d’eau un instant suspendue à son doigt comme un œuf minuscule, une lente perfusion glacée à travers son corps. Et se demande : est-ce que j’étais réellement malheureux ? Cette vaste maison, tous ces trous de serrure, il ne savait où donner de la tête. Etoiles épinglées sur un ciel noir, quand il faisait sombre. Qu’espérait-il y voir ? Eventer quels drames inouïs, « couvant sous la cendre », quelles autres vies derrière chaque porte close ? Neuf, dix ans peut-être il avait.

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