Pedrosa © Dupuis - 2011
Simon est un trentenaire en mal de vivre. Il se laisse porter, notamment par sa compagne. Inquiète, elle insiste pour qu’ils parlent de leur avenir commun. Mais il n’a pas d’avis à donner, il a tout simplement envie de rien.
Au niveau professionnel également, il serait bon que Simon se remette en question. Ses jobs alimentaires et routiniers lui assurent un revenu mais ce jeune auteur s’inquiète. Il se sent comme une coquille vide, ne trouve plus l’inspiration pour écrire et dénigre même son dernier ouvrage. Pourtant, son livre se vend bien et lui vaut d’être invité par les organisateurs d’un Festival à Lisbonne. Il s’y rend, inquiet de quitter sa routine et curieux de revoir le Portugal (pays natal de son père).
Dans l’avion, les sonorités des conversations menées en portugais le grisent à tel point qu’il en a le vertige. Etrange expérience qu’il réitère dès son arrivée. Il fait faux bond aux organisateurs du Festival et part flâner dans les rues de la capitale. Le constat est le même : il se sent bien, étonnement bien. Il est à sa place dans ce lieu inconnu…
J’étais fasciné et heureux. Un vrai crétin.
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Deux ans de travail ont été nécessaires à Cyril Pedrosa pour terminer Portugal. Cette fiction s’inspire également d’éléments autobiographiques puisque Cyril Pedrosa partage des réflexions parfois très personnelles sur ses racines portugaises et ses passages à vides le privant de toute créativité artistique. Le résultat est au-dessus de mes attentes : le plaisir de lecture est réel, les personnages sont touchants et attachants, l’univers réaliste devient palpable à mesure qu’on s’enfonce dans l’album…
Portugal, c’est une ambiance. Un album dans lequel on entre vite, aidé en cela par des atmosphères graphiques propices au voyage. Des tons sépia nous plongent dans les souvenirs et les réminiscences de Simon, la grisaille jaunâtre marque son quotidien en France et les couleurs vives et ocrées du Portugal qui sont comme une bouffée de bonheur… elles contamineront progressivement l’ensemble du récit. C’est avec plaisir que j’ai retrouvé les corps légèrement élastiques et filiformes de Cyril Pedrosa, vecteurs de bien-être, de liberté… de quiétude. Un univers dans lequel on se sent bien et où l’on ressent fortement les émotions vécues par les personnages. Il suffit de se laisser guider dans la nouvelle vie de ce personnage qui commence sous nos yeux. Voilà un univers graphique cohérent, il porte le récit et emporte le lecteur. Une fois refermé, j’ai eu beaucoup de mal à sortir de cette lecture.
Pourtant, il était difficile d’imaginer quel serait le parcours de Simon. On le découvre aboulique et égocentrique, un homme assez lisse qui, contre toutes attentes, parvient à dépasser son apathie pour donner des bases solides à sa vie d’adulte. Une sorte de renaissance qui s’amorce durant son voyage au Portugal. Les conséquences de ce revirement de personnalité permettent au lecteur d’investir peu à peu ce personnage. On n’est pas insensible à la manière dont il vit ces événements. Il est très réceptif aux couleurs de la ville, à l’attitude des gens, à cette langue étrangère… autant d’arguments qui le confortent dans l’idée qu’il a trouvé sa place dans le pays de son père. Les propos utilisés pour retranscrire ses impressions font écho chez le lecteur.
Le bien-être et la satisfaction qu’il en tire vont lui permettre de se consacrer à une lente introspection, l’écriture de Cyril Pedrosa rend cette démarche on ne peut plus naturelle, tout est fluide et traité avec spontanéité. La voix-off de Simon sonne juste, le discours est sincère, on ressent réellement ses émotions et celles des personnages secondaires. La trame narrative est découpée en trois chapitres (trois étapes dans l’acceptation de soi) et nous permet de glisser progressivement d’une vision très nombriliste du personnage à un regard très altruiste. Une concrétisation qui se fait à plusieurs niveaux et qui lui permet également d’envisager son travail d’écriture différemment.
C’est un récit intimiste raconté avec humour et nostalgie mélange très agréable de nostalgie et d’humour. L’album album s’ouvre sur une réflexion plus large qui touche des questions de société : identité, filiation, émigration, sentiments, rapports fratricides et intergénérationnels, religion, drogues douces… un brin de philosophie apporte un coté lyrique à ce voyage.
Est-ce que je suis le pays où je suis né ou est-ce que je suis peu importe le pays ?
Une lecture que je partage avec Mango et les participants aux
Un témoignage sans fioritures qui aborde de manière directe des questions existentielles sans que le ton ne soit cru ou amer. On ressent le côté fugace de la vie mais cela ne vient pas émailler quête identitaire de Simon et le plaisir qu’il en tire. Une histoire sincère, intelligente et servie par des ambiances graphiques propices au voyage. Une belle accroche avec les personnages et l’univers, un album dans lequel je me suis sentie bien, un coup de cœur de lecture. Certains diront peut-être que 256 pages représentent une lecture conséquente. Effectivement… mais on ne les sent pas passer !
Ce récit a été partagé au fur et à mesure de son écriture sur un site dédié à ce projet.
L’avis d’OliV, d’Yvan, de PaKa, Emyrky, BDZoom, Sébastien Naeco et Rue89.
Extraits :
« A chaque fois, c’est comme un nouveau départ. J’ai perdu beaucoup d’amis à cause de cela. Je pars… Et je ne donne plus de nouvelles. Je ne sais pas pourquoi. C’est au-dessus de mes forces. Depuis toujours » (Portugal).
« Je parviens à peine à communiquer avec la plupart d’entre eux. Quelques phrases de mauvais anglais, des gestes de la main, parfois rehaussés d’un sourire ou d’un sourcil levé. Ce langage sommaire, concentré sur l’essentiel, aussi frustrant qu’il soit, permet de ne montrer que le meilleur de nous-mêmes. Les signes infimes, qui traduisent, dans une langue maternelle, la bêtise ou la jalousie, sont ici effacés. Je ne vois que leurs sourires. Je les écoute avec l’illusion d’être en terre familière, de la connaître depuis toujours. Je les regarde et je les aime en secret. Je retrouve dans leurs visages des figures de mon enfance. Des cousins qui rient très fort… Une tante dont j’ai oublié le nom… qui parlent cette langue, si douce, si tendre. Toutes des bribes de souvenirs épars recouverts par les mauvaises herbes du temps. C’était là. A l’intérieur de moi. Et je l’avais oublié » (Portugal).
Portugal
One Shot
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
Dessinateur / Scénariste : Cyril PEDROSA
Dépôt légal : septembre 2011
Bulles bulles bulles…
éé
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