
Suite à l'hymne qu'il adresse à la Déesse, Bhairava demande dans quel but tous ces héros et ces yoginīs sont venus dans ce sanctuaire de la grande terreur.La Déesse lui rétorque "Tu es le Seigneur suprême : tu es toi-même la réponse ! A quoi bon répondre ?" Pourquoi Bhairava demande t-il à la Déesse quelle est sa propre nature ? N'est-ce pas ridicule ?Quelque peu intimidé, le Grand Terrifiant avoue alors que la Déesse est sa propre conscience de soi (svavimarśabalena), elle est la connaissance que Dieu a de lui-même. C'est elle, la réponse. Sans elle, tout se passe comme si Dieu n'existait pas, comme s'il était plongé dans le coma. Même s'il était infini éternel, etc., il serait, au fond, comme une pierre, dépourvue de la moindre liberté, indifférente comme un cadavre. Ce qui fait une différence, ce n'est pas Dieu, c'est cette conscience, ce pouvoir d'émerveillement, qui fait que Dieu est Śiva ("bienfaisant") et non une simple abstraction stérile. La réponse est donc le Cœur de la Déesse, son âme, sa substance, laquelle est l'âme de Dieu. Dieu étant la moelle de tout, la Déesse est la quintessence, le "secret ultime, divin" (1, 38a). Et ce secret, c'est d'abord la Danse de Kālī (kālīkrama), c'est-à-dire la liturgie qui exprime, à travers des mantras, le cycle de la conscience, cycle de création-destruction des concepts et des percepts dans l'espace sans nom. Ce n'est ni la dualité, ni l'unité, mais la "suprême non dualité" en laquelle sont réconcilié ces deux ennemis de toujours.La Déesse répond qu'elle va lui offrir la réponse absolue, le secret proclamé dans tous les Sanctuaires, symboles du corps humain. Dans cet espace ultime, espace du corps où sont naturellement présents toutes les puissances de l'univers, a lieu à chaque instant le grand sacrifice, création et destruction, émanation et retour. "Tout cet univers est annihilé par la vérité absolue comme un brin d'herbe dans les flammes" (I, 42). Des puissances terribles sont à l'œuvre, qui se prennent pour Dieu et qui se disputent en questions et réponses interminables. "Mais en réalité, dans le cœur, incognito, se tient la Question" (I, 43). Cette question, Bhairava la pose, éternellement, au plus intime de tous les êtres, afin qu'ils puissent, dans le Temps (c'est-à-dire la mort), se délivrer du Temps. C'est le Secret, la plus grand Secret, l’Événement, l'Effroi, la Terreur qu'attendent les hommes, les animaux, les dieux, les démons, et Dieu lui-même. Le Temps dévore tous les êtres. Mais comment dévorer le Temps ? (I, 52)La solution, c'est le Cœur de la Yoginī...
Second hymne du Dieu à la Déesse
Ô Śaṅkarī ! Révèle ce qui est dans le cœur des yoginī, Ce qui est indépendant des jours lunaires et des heures fastes, Ce qui ne requiert pas de lieux, ni de moments (particuliers), etc., Révèle ce qui est affranchi des signes conventionnels des (différents) sites (sacrés), Avec (leur) constellations et leurs planètes,Révèle ce qui ne dépend pas des gestes sacrés ni des formules, ni des couleurs comme le rouge, etc., Révèle ce qui ne dépend pas d'un rituel quotidien,Ni d'une offrande au feu, ni (de l'offrande) d'eau parfumée de fleurs, ni de l'offrande d'huile, Révèle ce qui ne dépend pas du rituel d'invocation (d'une divinité), Ni de vœux quand à la manière de se conduire, Révèle ce qui ne dépend pas des (techniques) spéciales comme les remplissages, Les vidages ou les rétentions (du souffle)! 1, 69-72 Extrait du chapitre premier du Tantra qui révèle le secret de la Dans de la DéesseA propos des adeptes du dualisme "du pur et de l'impur", voir cet article intéressant de l'excellent blogue de Joy Vriens. Selon certains, cette "secte des robes noires" (nîlâmbara) ou "de ceux qui ont le ciel bleu pour seul vêtement" est à rapprocher des Kâpâlikas, ces ygins, hommes et femmes, pour qui la liberté passait par une forme de libération sexuelle.