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Schizophrènes, anorexiques, dépressifs, ils ont droit au lycée

Publié le 20 octobre 2011 par Lana

C’est Matthieu qui nous a menés à la clinique Dupré, si discrète, dans un ancien pavillon de chasse du centre-ville, qu’on aurait pu l’ignorer. Le jeune homme, dont on sait seulement qu’il a « vécu et étudié à Sceaux », nous a envoyé un mail empreint de reconnaissance pour « cet établissement psychiatrique qui donne sa chance à des jeunes d’être accompagnés en reprenant ou poursuivant leurs études ». « J’en sais quelque chose pour m’y être reconstruit ».

Schizophrènes, anorexiques, dépressifs, ils ont droit au lycéeL’entrée de la clinique Dupré, avenue Franklin Roosevelt © Karim El Hadj / LeMonde.fr

Rendez-vous est pris auprès de Blandine Charrel, qui dirige cette clinique de la Fondation santé des étudiants de France – créée par l’Unef en 1923 pour permettre aux jeunes tuberculeux de se soigner tout en étudiant. La presse n’y pénètre guère, d’habitude. C’est qu’ici sont hospitalisés 180 patients de 16 à 25 ans souffrant de graves troubles psychiatriques. Schizophrénie, psychoses maniaco-dépressives, troubles du comportement alimentaire, dépressions sévères, névroses invalidantes… Ils restent une quinzaine de mois, en moyenne. Mais parfois trois ans, quatre ans… Originalité du lieu : on demande « à ce même cerveau malade que l’on tente de soigner de poursuivre des études », résume le docteur Georges Papanicolaou, coordinateur médical. Un « soins-études », dit-on ici, comme l’on parle ailleurs de sports-études.

Une fois sortis des soins intensifs, les patients hospitalisés redeviennent lycéens. La clinique médicale et pédagogique Dupré ne s’est pas contentée de passer convention avec le lycée du coin, afin que quelques cours soient dispensés, comme c’est généralement le cas. C’est une véritable annexe du lycée Lakanal voisin qui est implantée en son sein.

Schizophrènes, anorexiques, dépressifs, ils ont droit au lycée
La clinique Dupré est devenue établissement psychiatrique dans les années 1950. Les séjours y sont pris en charge par l’assurance-maladie © Karim El Hadj / LeMonde.fr

Avec trente professeurs, un proviseur-adjoint. Et les mêmes cours et options qu’à côté. Ce qui est « si rare qu’on refuse beaucoup de dossiers », note le coordinateur médical. 120 sont en attente. « Alors attention !, supplie-t-il, las d’être sollicité par des parents qui lui confieraient bien leur gamin un rien trop angoissé, un brin trop en échec scolaire. « Dîtes bien que nous ne sommes pas un internat médicalisé ! Nous sommes un hôpital psychiatrique, les jeunes viennent d’abord se soigner. Les études sont un moyen, non une fin. Elles doivent faire en sorte que les patients se sentent mieux. Une brillante anorexique qui décroche la mention très bien au bac et se suicide deux ans après, ce n’est pas une réussite ».

Schizophrènes, anorexiques, dépressifs, ils ont droit au lycée
Les cours sont tous dispensés en petits groupes © Karim El Hadj / LeMonde.fr

Les salles de classes, que nous visitons, ont toutes cette rassurante banalité décorative des salles de classes de lycée – tout juste se distinguent-elles par leur taille, puisque l’on n’y accueille jamais plus de quinze élèves.

Au laboratoire de physique-chimie, la professeure, Brigitte Proix, fait peut-être un peu plus attention qu’ailleurs, encore, à la clé de l’armoire aux produits dangereux. « Les élèves arrivent n’importe quand dans l’année, dit-elle. Certains sont là, mais pas là dans leur tête, ils s’endorment sous l’effet des médicaments. Et les têtes sont parfois très encombrées de voix, d’hallucinations. Je suis obligée d’inventer sans cesse des « trucs » pédagogiques pour les raccrocher au réel. Et je dois être très présente en cours. Ils sont souvent incapables de travailler seuls ensuite ».

Schizophrènes, anorexiques, dépressifs, ils ont droit au lycée
Brigitte Proix enseigne la physique-chimie depuis six ans à la clinique © Karim El Hadj / LeMonde.fr

Sa collègue prof de maths, Florence Espinasse, est là depuis trente ans, enthousiasme intact. Elle dispense un enseignement si personnalisé qu’elle a le sentiment de se renouveler sans cesse. « Une grande partie du travail, note-t-elle, consiste à observer les élèves, deviner s’ils ont compris ou non, parce qu’ils ne vous le diront pas. Je m’assois à côté d’eux… Je tente de convaincre ceux qui veulent sortir de cours, en pleine crise d’angoisse, qu’ils sont acceptables tels qu’ils sont. Ils se dévalorisent, dans ces pathologies narcissiques ». Ces élèves très particuliers perçoivent la scolarité comme un enjeu énorme. « Ce n’est que parce qu’il y a le lycée qu’ils acceptent d’être soignés. Ils viennent souvent de familles très exigeantes sur le plan scolaire… Ce qui fait partie de leur problème ».

L’école, ici, est uniquement sur prescription médicale. Ce sont les psychiatres, après période d’observation du jeune, qui transmettent à madame le proviseur-adjoint, Fazia Lamhene, une prescription horaire. A elle de s’en débrouiller. Certains adolescents, à peine sortis d’une année d’hôpital psychiatrique classique, sont incapables d’assister à plus de huit heures de cours par semaine. A l’extrême inverse, il faut freiner les jeunes filles anorexiques en quête de perfection scolaire. Les notes sont maniées avec précaution. A quel moment tel jeune sera-t-il à même de supporter une évaluation ? Tout se fait « progressivement », « dans la bienveillance », « en s’adaptant constamment à leur état de santé », nous assure-t-on. Des retards systématiques ne valent pas remontrance, ils sont pris en compte comme autant de symptômes.

Le docteur Papanicolaou sait aussi pertinemment que le lycée facilite l’acceptation par les parents de l’entrée en hôpital psychiatrique de leur enfant. Qui s’en trouve moins stigmatisé. « Un patient schizophrène, ajoute-t-il, nécessite un, deux, trois ans de soins. Cela permet de ne pas le désocialiser, ni déscolariser, de préserver son avenir social jusqu’au moment où, on l’espère, son état sera amélioré. La scolarité est comme une ambassade de la réalité ». « On représente la normalité, acquiesce madame Lamhene. On les appelle « nos élèves », il y a marqué Lakanal sur le bulletin scolaire. Tout cela les rassure. Au lycée, ils étaient des extra-terrestres, isolés. Ici, ils ont tous leurs souffrances, ils peuvent tisser des liens entre eux ».

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La directrice des études, qui porte aussi le titre de proviseur-adjoint du lycée Lakanal, Fazia Lamhene© Karim El Hadj / LeMonde.fr

Au détour d’un couloir, on attrape des bribes de conversations entre patients et encadrants. Il est question de la différence entre éthique et morale, de Levinas et de Mounier… Les jeunes, ici, sont souvent très brillants, sourit un soignant. Jonathan, 22 ans, est là depuis quatre ans, il devrait sortir bientôt. Son tee-shirt orange pétant lui donne l’air guilleret, il est prolixe, mais fait preuve d’une lucidité ravageuse. « Je n’ai pas fait grand-chose ces 5-10 dernières années »… Il a atterri à la clinique Dupré après trois Troisième et des actes de grande violence. « Les conditions de scolarité sont géniales. C’est très important pour moi d’avoir un cadre, précisément parce que j’ai, enfin j’avais, un problème de place, de positionnement par rapport aux autres. Je me voyais à la place du prof, ou j’occupais toute la classe à moi tout seul. Le lycée m’a donné aussi des repères temporels. Soins, cours, loisirs. Avant, je me couchais, je me levais quand j’en avais envie. Et dans les études, il y a le sentiment de faire quelque chose. Une fierté». Jonathan n’a pas eu le bac mais il s’est découvert, lors d’un atelier, une passion pour la cuisine. Le voilà heureux élève de CAP en alternance. Il est même parvenu à «trouver sa place » dans les cuisines d’un grand restaurant.

Schizophrènes, anorexiques, dépressifs, ils ont droit au lycée
sortie © Karim El Hadj / LeMonde.fr

Petits ajouts…

Le relais

Il y a douze ans, la clinique a ouvert un centre de consultation, un « relais » où les 12-25 ans peuvent venir parler à un psy sans rendez-vous, avec ou sans parents. 3600 consultations y ont été dispensées l’an dernier. Des problèmes de drogues, d’addictions en tous genres, d’angoisses, d’états dépressifs, de conflits familiaux, de ras-le-bol scolaire… Des professeurs sont là aussi pour tenter de maintenir ou de restaurer un lien avec le milieu scolaire. La fréquentation du relais grimpe sans cesse. « Les élèves sont sous une telle pression scolaire et familiale ! », déplore-t-on à la clinique. « La crise, le chômage, les angoisses parentales pèsent énormément sur eux. »

La ville

Blandine Charrel, directeur, assure que les voisins ont accepté la clinique « ce qui prouve qu’un établissement psychiatrique peut s’implanter dans un environnement aussi préservé que celui-ci ». Et qu’avec la municipalité, « tout se passe bien »: « Nous avons le sentiment d’être vécus non pas comme une nuisance mais comme une chance. Il faut dire que nous avons des patients de tous milieux sociaux. La maladie psychiatrique n’est pas l’apanage des pauvres. On voit aussi les enfants des bonnes familles de Sceaux, très bons élèves de Lakanal ou de Marie Curie, s’alcooliser dangereusement à la maison quand leurs parents sont dans les réceptions… »

http://sceaux.blog.lemonde.fr/2011/10/18/schizophrenes-anorexiques-depressifs-ils-ont-droit-au-lycee/


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