RENCONTRE
Dans un château des Maures
Je croisais une singulière voyageuse.
Je l’avais vue la veille d’abord
Sur le pont de la Canopée,
Ce vapeur qui va de Cannes à Saint-Tropez.
Plus de soixante-dix ans
Sûrement,
Grande, anguleuse,
Face à la mer, seule,
Elle pleurait là, cette aïeule.
Je la consolais de mon mieux.
-N’essayez pas,
Monsieur.
Et voici ce qu’elle me conta :
-J’ai eu un fils.
À six ans, on me l’a prit.
On le mit en pension.
Il ne fut plus à moi.
Il venait deux fois l’an
À la maison
Et chaque fois,
Je m’étonnais de le trouver plus grand.
On m’a volé la joie
De voir croître ce petit sorti de moi.
Une année, j’osais à peine l’embrasser.
Était-ce mon bébé blond et frisé
D’antan,
Mon cher enfant,
Cet homme brun qui m’appelait
Gravement ‘ma mère’ et qui ne semblait
M’aimer que par devoir.
À son départ pour Honolulu
Il me dit ‘au revoir’.
Depuis, je ne l’ai pas revu.
Mon mari mourut.
Mon père mourut.
Je perdis ma mère
Et mes deux frères.
Ma fille épousait
Un américain. Mon gendre me haïssait.
Je ne les vois plus depuis des mois.
Alors je voyage toute l’année,
Sans personne avec moi.
Vous comprenez ?
Adieu, Monsieur, ne restez pas là.
Ça me fait mal de vous dire tout cela.
Maupassant a repris cette histoire mot pour mot, mais avec un décor différent, l'Auvergne. Cet autre conte s'intitule :
Humble drame