Magazine Cinéma
De Woody Allen, on connaît surtout l’énergie comique du désespoir, et ce petit ton guilleret qui masque les épines. Lorsqu’il se montre frontalement noir et pessimiste avec un Interiors qui ne cache ni ses relents bergmaniens, ni ses volontés d’analyse freudienne, c’est le choc. Après Annie Hall en 1977, le rire laisse place à plus obscur, tout le monde y tire la gueule, se confronte à ses traumas, se noie dans son mal-être avec complaisance. Au centre, la figure maternelle. Une mère en dépression (Geraldine Page), obsédée par la décoration de son intérieur, impression de contrôle, manie compulsive pour se cacher la vérité : ses filles vont mal, son mari ne l’aime plus. Le trio sororal (Kristin Griffith, Mary Beth Hurt, et Diane Keaton) mis en place par Allen, qui tranche avec la douceur de celui d’Hannah et ses sœurs, est gangréné par ses peurs, jalousies et rivalités, des sentiments-poisons hérités des folies de la mère, et nourris par l’indifférence et la lâcheté des hommes qui les entourent (père, mari et beaux-frères).
Le cinéaste, lui, dans sa peinture plombée d’une famille qui vole en éclats, ne fait pas dans la dentelle. Et c’est tant mieux. Plans structurés jusqu’au malaise, romantisme vénéneux maximal (il faut voir cette séquence tragique sur la plage !), gros plan sur des visages immobiles, étude architecturale, quasi mathématique, du cadre : Interiors est plein d’une rigueur nouvelle, cruelle, sombre. De tous, c’est peut-être le film le plus radical de son auteur, le plus inhabituel aussi, tant il ne laisse pénétrer aucun rayon de soleil. Rien ne vient alors en craqueler la construction chirurgicale, ni musique, ni souffle d’optimisme. Opaque, triste, et épuré. Jusqu’au-boutiste, aussi. Et, surtout, hautement recommandable.