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Le mot il est sorti et Du pop corn dans la tête, d'Edith Azam (par Matthieu Gosztola)

Par Florence Trocmé

Azam le mot il est sortiÉdith Azam met admirablement en scène le flux de sa voix poétique, dans le périple des multiples performances (car chacune semble un arrachement à soi-même, comme un accouchement d’une part enfouie de soi) qu’elle s’impose. Elle semble être alors entièrement une colonne d’air, qu’elle module au gré des inflexions qu’elle impose à sa voix. Ces inflexions, recelant à la fois une brutalité et une rythmique très grandes, témoignent tout à la fois d’un enfermement dans la parole et d’un désir de quitter cet enfermement, désir exprimé justement par la violence imposée à cette parole.  
Cette dichotomie parcourt en filigrane toute l’œuvre d’Edith Azam et on la retrouve singulièrement dans l’ouvrage qu’elle a publié aux éditions al dante, le mot il est sorti¸ dialoguant avec les photographies de serres de Jacques Guyomar qui donnent à voir des brisures, éclats de verre au sein de serres que l’on imagine fracassées, déchiquetées comme un corps de verre, et qui sont pour Édith Azam l’image la plus exacte de l’intériorité lorsqu’elle est en proie à la souffrance amoureuse : « C’est « Toi ». Dans ma bouche c’est « Toi » qui est venu. Je sais pas qui c’est toi, alors je me dis toi : tu es vous. Et je sais pas ce que vous m’as fait, mais vous, tu m’as fait que quand je me suis réveillée avec moi, vous, t’étais plus jamais là. Avec toutes les lignes et puis mes mains brûlées, n’ai pas pu voir si je savais. »  
Il s’agit bien de « lignes », il ne s’agit que de cela, car, pour Édith Azam, il n’y a jamais que la langue (« [j]e suis vocabulaire »), même si l’auteur se confronte, comme ici, à l’expérience de l’altérité dans ce qu’elle a de plus bouleversant et de plus douloureux (la rencontre amoureuse, puis l’abandon) : « C’est fini bagarre à présent, et j’ai cent mille bouches qui chantent. Tout ça parce que je me centre, je me rejoins dans la blessure, l’entaille que vous : tu m’as faite » ; « Mais c’est indomptable à dompter toutes ces lèvres sous la peau. »  
Ainsi, même si l’auteur s’ouvre à l’autre se tenant dans sa matité la plus nue, apparemment la moins transmuable dans un quelconque langage, cette altérité s’impose à soi, uniquement, non pas suivant la magie évocatoire du langage mais comme un simple mais totalisant fait de langue : « Je sais pas quoi je sais, je vois que ta structure : et c’est trop grand, et j’ai peu de mots, et la gorge ça me l’arrache de voir le fer : le fer de toute la parole » ; « Mais ça fait toujours pareil, et dans mon langage algébrique, vous + toi + moi : l’inconnu, ça fait toujours NOUS » ; « Et maintenant me dit : que ta belle blessure m’écrit NOUS sur la peau » ; « Ce mot, il te zigouille les quilles et tu tiens plus debout. Tu vois, je le connais pas avant vous ce mot que tu m’es, et maintenant je le connais tout le temps. »  
En outre, la blessure de la rupture étant violence faite à soi – soi étant pareillement langage, quand l’intériorité cherche à se dire, même par le bégaiement et le silence, pour se rejoindre –, elle devient de ce fait violence faite au langage : « Et tu étais où hein ? Jusqu’où dedans pour me faire ça au langage ? » Le chamboulement non systématique du vocabulaire et de la syntaxe dit superbement cette façon qu’a l’être déchiré de ployer au-dessus du rien quand tout se délie, se délite : « Nos langues me sauvagent, me font ma vitraux : intouchable. »  
Dans Le mot il est sorti, si l’altérité s’impose avec une grande force, elle semble, paradoxalement, uniquement être un mot : « Je me suis réveillée et j’ai réveillé : avec moi. Le mot il est sorti » ; « Le mot, c’est « toi ». » Azam pop cornMais, dans les autres recueils d’Azam, de toutes les manières, quand l’autre a une vérité moins immédiatement soluble dans le langage, il a cependant toujours trait au langage, puisque pour l’auteur sa présence, insécable, bouleversante, nous amène toujours à bouleverser notre manière de voir, c’est-à-dire notre propre dire. Ainsi en est-il, notamment, dans Du pop corn dans la tête : « Là vraiment c’est trop dur / Le gars à force de m’embrasser / l’est venu dans ma bouche / jouer avec ma langue / puis voilà qu’à présent / il veut parler avec / Moi ça m’tourne pas rond / de m’entendre / ça me fait la tête / en grand huit / un’ pensée en plus l’infinie / et que c’est impossible à suivre ».  
Dans ce recueil paru à l’Atelier de l’agneau en 2010, il s’agit ainsi de donner corps à la danse folle de la langue (dans tous les sens – du terme !), danse rehaussée par de nombreux dessins, signes patients d’un alphabet d’un onirisme enjoué où l’enfance serait une faculté à s’endormir loin du réel et à ouvrir les yeux dans l’enchantement amoureux ceint néanmoins de perplexité, le langage comme des quilles soudain tremblantes puis couchées par la force et la précision du coup, face à l’intensité de la rencontre amoureuse et du trouble qu’elle provoque, mais aussi face à la gêne émanant de la présence de l’autre qui vient perturber le monde déjà branlant qui est : soi. C’est alors un jeu festif, un jeu héroïque dans l’humour, juché sur le dos vraiment secouant de la chanson, un jeu qui montre que le langage peut se déliter aussi avec bonheur (même s’il y a aussi une part de malaise), loin de la souffrance et de la détresse sur quoi se construit la destruction du langage qui reflète le délitement intérieur suite à l’abandon amoureux, comme en témoigne, de belle façon, Le mot il est sorti
 
[Matthieu Gosztola] 
 
Édith Azam, Le mot il est sorti, avec des photographies de serres de Jacques Guyomar, Éditions al dante, 2010 & Du pop corn dans la tête, Atelier de l’agneau, 2010.   


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