N'aie crainte, Philippe Pollet-Villard
Dans Le Mozart des Pickpockets, l'un des personnages, Philippe (Pollet-Villard), dit à son acolyte Richard (Morgiève) : "Désormais, Richard, nous allons délaisser la marge, seuls les plus grands cinémas nous accueilleront". Dont acte. Un César et un Oscar plus tard, l'on n'est guère surpris, car comme l'avait pronostiqué Philippe, toujours dans le film : "Nous allons devenir riches, Richard".
Avec leur malicieux binôme, le duo Morgiève/Pollet-Villard ressuscite sur l'écran les paires de clowns blancs qu'affectionne tant le cinéma, des Coen aux Lumière aux Laurel et Hardy, des Etaix aux Keaton (même si ces derniers faisaient leur duo en enrôlant le spectateur).
Le court métrage de Philippe Pollet-Villard, Le Mozart des Pickpockets, est une minimale comédie des voleurs ; un acte poétique d'une grande sobriété. La drôlerie y est toujours extravagante. Mots et silences tiennent dans ce cinéma-là une place considérable, qu'ils soient tus ou prononcés, par - et c'est vraiment renversant - deux personnages qui se trouvent être dans leur existence réelle deux écrivains : Richard Morgiève et Philippe Pollet-Villard. A leur aune, une voix, un dialogue, un échange, pèsent un véritable poids de grâce et de sens.
Tous deux, même s'ils jouent un rôle, possèdent une volupté particulière du français prononcé, une vertu devenue suffisamment rare pour être frappante.
Morgiève prononce apeuré et sans jamais se forcer avec un naturel désarmant. Pollet-Villard caresse la syntaxe et joue au gros dur, chacun de ses mensonges est une élégie. Le troisième protagoniste est forcément un secret. C'est Mozart. Il entend tout, il n'écoute rien, à part son âme. Elle est somptueuse et irradie tout le film.
Arrive une séquence où une tournure quasi archaïque intervient.
"N'aie crainte, Philippe", dit Richard avant de déposer, avec son confondant naturel et une douceur infinie, une serpillière sur la tête de son comparse blessé.
C'est pratiquement une bénédiction. Le geste presque sacré est ordinaire, légèrement désaxé, comme l'est tout le film.
Ce "N'aie crainte, Philippe" se reçoit comme le voeu d'une pythie contemporaine, déclamant pour les abandonnés de toujours, tous contes et légendes remémorés.
Si leurs enjeux sont très différents, on renverra aux ouvrages de Philippe Pollet-Villard et Richard Morgiève. Il est possible d'y retrouver très concrètement leurs voix si singulières.
Lire l'article sur L'Homme qui marchait avec une balle dans la tête
de Philippe Pollet-Villard >
Lire l'article sur La Fabrique de souvenirs de Philippe Pollet-Villard >
Lire / écouter l'entretien avec Richard Morgiève
et la lecture de son livre Vertig >
Le Mozart des Pickpockets, produit par Karé Prod, a été récompensé par le Grand Prix du Festival international du Court métrage de Clermont-Ferrand, le Prix du public, le Prix du public du Festival européen du Film court de Brest, avant de recevoir un César le vendredi 22 février et un Oscar le dimanche 24 février. On verra avec plaisir également, dans le même coffret, La Baguette et Ma place sur le trottoir, deux autres courts métrages.
Isabelle Rabineau
Philippe Pollet-Villard
Le Mozart des Pickpockets
La Baguette
Ma place sur le trottoir
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