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Viols de guerre : enfants cherchent identité

Publié le 26 février 2008 par Willy
InfoSud

Sabiha Husic 25 février 08 - Des milliers d’enfants nés de viols de guerre sont les laissés pour compte de la Bosnie-Herzégovine. De passage à Genève, invitée par Webster University, Sabiha Husic, théologienne islamique et thérapeute, tire la sonnette d’alarme.

Propos recueillis par Carole Vann / InfoSud - La Bosnie-Herzégovine a été durant les années 1990 le terrain d’une guerre particulièrement perverse. Les femmes musulmanes étaient systématiquement violées par les soldats ennemis. Ce n’était pas seulement les victimes qu’on humiliait et détruisait, mais aussi les fondements et les repères de toute la société bosniaque. Née en Bosnie-Herzégovine, Sabiha Husic a suivi une école islamique et est devenue psychothérapeute. Elle a fondé en 1993 Medica Zenica, l’une des premières ONG destinée à aider ces femmes et leurs enfants. Elle était invitée à Genève par Webster University pour évoquer le drame des enfants nés de viols de guerre. Interview.

Quels sont les problèmes actuels issus de la guerre dans le pays ?

La guerre a cessé depuis 1995. Mais la situation économique reste très précaire. Il n’existe pas d’assurance santé, pas de soutien social. Les anciens réfugiés qui rentrent n’ont pas de travail.

Il y a aussi un grand problème avec l’éducation. Dans certaines zones, la même école est cloisonnée avec deux programmes totalement contradictoires – croates et bosniaques. Les élèves n’ont pas de contact entre eux et apprennent des versions de l’histoire récente opposées. C’est dramatique lorsque l’on pense que ces jeunes vont construire la société de demain.

A cela s’ajoute les violences domestiques, le trafic de filles, le désarroi des enfants issus des viols de guerre, devenus adolescents.

Que se passe-t-il avec ces enfants issus de viols de guerre ?

Ils ne parviennent pas à se trouver une identité. Sans racines, comment peuvent-ils se construire ? Rien n’est fait pour ces enfants qui sont sous le sceau du tabou : leur père, c’est l’ennemi, celui de l’autre bord.

Or ces jeunes sont en train de devenir des adultes et ils ont besoin de réponses. Leurs mères sont dans le désarroi, ne sachant comment leur expliquer la réalité. Elles ne savent pas s’il vaut mieux dire la vérité ou pas. Elles ont peur de perdre leur enfant, que celui ci passe à l’autre camp dans la quête de son père.

Que faire ?

Il faut des programmes d’accompagnement pour préparer ces enfants à recevoir une vérité très violente. Il faut aussi intégrer les mère ou les parents adoptifs ou encore les enseignants et les thérapeutes.

Mais l’argent manque. Depuis 2007, les donateurs internationaux se concentrent ailleurs : Irak, Kosovo, Afghanistan. Et le gouvernement ne nous aide pas.

Comment ces femmes violées ont-elles pu continuer à vivre dans la société musulmane bosniaque ?

Juste après la guerre, la communauté islamique a énoncé une fatwah (décret islamique) déclarant que les femmes violées étaient des shahida (martyres de l’islam). Cette fatwah invitait tous les frères musulmans à respecter et soutenir ces femmes et leurs enfants dans le processus de guérison. Elles avaient ainsi un statut. Cela ne résolvait pas tout mais cela a beaucoup aidé pour leur intégration sociale. En 2006, nous avons réussi à leur obtenir un statut légal de victimes civiles de la guerre. C’est capital parce qu’elles ont théoriquement droit à un soutien logistique.

Malgré cela, beaucoup de femmes gardent encore le secret, surtout dans les campagnes. Nous faisons un travail de longue haleine pour les amener à se confier pour les libérer de ce poids terrible.

Vous-même, pourquoi avez-vous étudié la théologie islamique ?

Avant la guerre, les écoles religieuses n’étaient pas considérées, c’était l’après Tito. Mais, très tôt, j’avais remarqué autour de moi que les hommes utilisaient à tort les arguments religieux pour dominer les femmes. J’ai compris qu’il fallait passer par la connaissance approfondie des textes religieux pour contrecarrer ces abus. J’ai alors voulu faire mon école secondaire dans une école coranique. Mes parents étaient opposés, craignant pour mon avenir, mais j’ai insisté. Je n’étais qu’une adolescente mais j’avais compris qu’il fallait utiliser les arguments théologiques pour casser les préjugés traditionnels.

J’ai donc fait l’école secondaire et l’université islamiques, mais je suis aussi diplômée en psychologie, je suis psychothérapeute et je suis manager sur les questions humanitaires.

Les mentalités ont-elles beaucoup changé avec la guerre ?

Les femmes ont pris conscience de leurs droits. Nous avons plein de programmes à la télé et à la radio sur les violences domestiques, physiques, émotionnelles, sur l’inceste. Nous formons aussi les policiers, les juges, les enseignants. Mais nos leaders politiques essaient de nous mettre des bâtons dans les roues car ils réalisent que nos activités transforment et éveillent de plus en plus de gens.

Vous arrivez à toucher les hommes aussi ?

L’année passée, pour la première fois, 22 hommes sont venus spontanément nous demander de l’aide pour des thérapies individuelles. C’est une révolution dans cette société traditionnelle. Les maris et les pères commencent à se rendre compte que leurs violence est destructrice et qu’ils doivent chercher de l’aide s’ils ne veulent pas perdre leur femme et leurs enfants. Il ne faut pas oublier qu’ils étaient des anciens soldats dont la seule devise était : tuer ou être tué.

L’indépendance du Kosovo a t il des répercussions chez vous ?

Oui. Il n’y a aucun programme ni scolaire ni social pour une réconciliation nationale. Nous vivons avec une bombe à retardement.

Voir en ligne: Medica Zenica  Par http://www.droitshumains-geneve.info/
 


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