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Ecrire la Révolution, 1784-1795, lettres de Gaston de Lévis adressées à Pauline, La Louve éditions

Publié le 26 octobre 2011 par Irigoyen
Ecrire la Révolution, 1784-1795, lettres de Gaston de Lévis adressées à Pauline, La Louve éditions

Ecrire la Révolution, 1784-1795, lettres de Gaston de Lévis adressées à Pauline, La Louve éditions

Il y a quelques mois, Jean-Louis Marteil, directeur des éditions de la Louve, m'a contacté chez Arte, me disant qu'il allait publier un livre de correspondance entre Pierre-Marc-Gaston de Lévis et Pauline, sa chère et tendre. Mon inculture quant à ce couple fut bien vite comblée lorsque mon interlocuteur me précisa qu'il s'agit de nobles ayant connu l'émigration, que les lettres couvrent la période 1784-1795, et que lesdits documents permettent de vivre quasiment en direct et de l'intérieur la poussée révolutionnaire dans la France de Louis XVI.

Si le grand public a la chance d'avoir accès à un tel corpus, il le doit avant tout à Claudine Pailhès, directrice des Archives Départementales de l'Ariège dont vous retrouverez l'interview qu'elle m'a accordée pour la Revue des Deux Mondes et qui sera publiée dans le numéro de janvier.

Précisons d'emblée qu'il s'agit bien d'une correspondance mais seules les lettres de Gaston de Lévis figurent dans ce livre. Un jour peut-être les réponses de Pauline finiront par réapparaître. Ce qui est sûr c'est que le couple, peu confiant dans le travail de la poste, numérotait ses lettres ce qui permet aux historiens de mesurer ce qui manque. On a donc ici un corpus de 236 lettres mais aussi huit chapitres d'un Journal de Prusse où le duc se rend en 1784, juste après son mariage avec Pauline, en compagnie de son fidèle ami Pontécoulant – il lui viendra en aide à la Révolution alors qu'il n'était pas vraiment du même bord politique -. But du voyage outre-Rhin : parfaire son instruction militaire et assister aux manœuvres de l'armée prussienne, une des plus célèbres à l'époque. Ce qui frappe d'emblée, c'est que rien n'échappe au regard du noble qui n'hésite pas à railler le « mauvais goût allemand » :

Aussi, Berlin, dans une étendue immense, n’offre point ce coup d’œil animé qui plaît tant à Londres et à Paris. Les rues presque désertes et pour la plupart tirées au cordeau seraient d’une immense uniformité si l’on n’avait eu soin de varier le devant de chaque maison d’une architecture différente et sur les meilleurs modèles de Palladio, Sansovino et autres.

Il lui arrive aussi de viser directement des personnalités, comme ici Ferdinand, frère de Frédéric II, dont il fait un portrait pour le moins cocasse...

Quoiqu’il soit le plus affable et le meilleur prince du monde, c’est une chose vraiment comique que la manière dont il reçoit les étrangers. Il fait une quantité prodigieuse de grimaces dans le genre, si j’ose le dire, de monsieur votre archevêque de Paris, et même la comparaison serait toute entière à l’avantage du prince Ferdinand par l’extrême variété et la volubilité des siennes. Il n’en est pas ainsi de sa langue qui est, au contraire, extrêmement embarrassée, et comme il prononce avec peine, il remédie à cet inconvénient en répétant entièrement chaque phrase deux fois, ce qui ne laisse pas d’allonger la conversation.

quand il ne s'attaque pas directement au roi de Presse lui-même :

Il n’y a guère que dix-huit mois qu’il possède deux habits et c’est un accident qui lui en a montré la nécessité : en allant de Potsdam à Magdeburg à cheval, quoiqu’il y ait près de 40 lieues, il survint un orage affreux, le soir il donna son unique habit à son palefrenier pour le sécher et ce pauvre diable, exténué de fatigue, s’endormit au coin du feu et le laissa tomber ; le lendemain matin, le roi en réveillant son homme, trouva un pan de son habit presque brûlé et n’en possédant point d’autre il fit la revue de ses troupes avec une poche de moins. C’est alors qu’il s’est déterminé à se faire faire un uniforme de plus.

Lors de ce voyage, Gaston de Lévis fait halte dans certaines villes allemandes. Il se met alors à discourir d'une façon parfois déroutante.

Francfort est le lieu de l’élection et du couronnement de l'Empereur. C’est dans la sacristie de l’église catholique que s’assemblent les électeurs. Dès qu’ils sont d’accord, on élève sur le maître autel le prince sur lequel les voix se sont réunies. C’est une grande question qui partage les publicistes d’Allemagne de savoir si une femme peut être élue empereur. Je pourrais faire parade ici de mon reste d’érudition en vous rapportant ce qui est sur cet article dans la Bulle d’or, mais j’aime mieux vous dire plus simplement que les Allemands n’ont pas apparemment trouvé assez d’esprit à leurs femmes, s’ils avaient eu des Françaises, la question se serait décidée bien vite.

Mais le plus extraordinaire est donc la publication des fameuses lettres adressées à Pauline qu'il surnomme tour à tour « chat » ou encore « toutou » mais dont il n'hésite pas, régulièrement, à reprendre l'orthographe, la grammaire alors que, rappelons-le, le pays a bien d'autres chats justement à fouetter. Jamais celui qui fut au service de Monsieur, futur Louis XVIII, ne manifeste de la peur face aux événements. Bien au contraire, il les décrit de façon très détaillée, avec une certaine neutralité qu'on attendrait pas de quelqu'un qui est potentiellement en danger.

Le duc fait vraiment office de reporter avant l'heure. Il décrit les élections des états généraux de 1789 dans le cadre du baillage, il confie à demi-mot son intérêt pour un système de monarchie constitutionnelle (sur le modèle britannique), dit sa détestation de la Déclaration des droits de l'homme, raconte la fuite de Monsieur, celle de Louis XVI à Varennes. Il parle de ses contemporains comme la Fayette, Talleyrand, Rousseau, Mirabeau. Il évoque des choses plus futiles en apparence comme le vol en montgolfière de Pierre Tetu-Brissy qui devait durer un jour mais s'écrasa au bout de 35 minutes dans un champ de blé, provoquant la colère d'agriculteurs. Mais le temps fort de ces lettres est incontestablement celui du 20 juin 1792 aux Tuileries.

Je sortis donc pour aller dîner chez ma sœur. Je n’étais pas au bout de la cour que je vis la grande porte ouverte et une foule de gens à piques se précipitant vers le château à travers deux haies de gardes nationaux et de gendarmerie qui les laissaient faire. Je rentrai bien vite chez madame de Tourzel pour prendre mon épée que j’y avais laissée et me joindre à ces messieurs. Pendant qu’ils prenaient leurs armes, les canonniers qui étaient sous nos fenêtres firent mine de tirer, mais quelques fusils dirigés contre eux presque à bout portant les y firent renoncer. Nous courûmes pour monter chez le roi par un petit escalier, la grille était fermée, quelques grenadiers la défendaient en dedans et ne voulurent jamais l’ouvrir, les gens à piques nous poussaient par derrière pour entrer avec nous. (…) sans-culottes, un d’eux qui la gardait me donna un coup de marteau dans le creux de l’estomac, ce qui, pour le moment, me mit hors de combat (…) Dans ce tumulte, un grenadier, l’on dit Santerre, présenta un bonnet rouge au roi, en le menaçant ; il le mit sur sa tête et l’y garda plus de trois heures.(...) C’est dans cet état que je trouvai les choses lorsque je pus revenir au château et, dans la salle qui précède celle où se tenait le roi, j’ai entendu des bouchers dire : « Tant qu’on ne verra pas sur des piques la tête de ces deux monstres, le peuple ne sera pas heureux ». L’Assemblée envoya un peu tard des députations et, à dix heures du soir, tout était fini, beaucoup, en s’en allant, criant à demain. Cependant, il est onze heures passées, il n’y a rien et il n’y aura rien. Je crois pourtant qu’une pareille scène recommencera la semaine prochaine et que les suites, cette fois, en seront tragiques, mais je ne l’attendrai pas.

On s'y croirait.

A partir de là, Gaston de Lévis décide de s'engager dans l'armée des Princes, ce qui implique alors de passer du côté des émigrés qu'il haïssait. On le suit quand il entre sous une fausse identité dans les chasseurs wallons, un corps de l'armée autrichienne formé d'hommes levés en Belgique, sous les ordres du général Clerfayt. Vous tremblerez sans doute au récit que fait le duc de son retour en France en 1793 avec sa femme et qu'il est alors dénoncé aux Jacobins. Mais Gaston de Lévis est aussi un être chanceux, contrairement aux membres de sa famille qui périront sur l'échafaud. La preuve : il obtient un certificat de complaisance attestant qu'il est bien resté en France. A nouveau sur le chemin de l'exil, le duc est blessé sur les grèves de Quiberon mais il s'en tirera une nouvelle fois. Et tout cela, oui, on peut le lire dans les lettres.

Il faut attendre le coup d'état du 18 brumaire pour que Gaston et Pauline soient rayés des listes d'émigrés grâce à l'intervention de Pontécoulant et de Joséphine de Beauharnais dont la duchesse était une lointaine parente. Dans la dernière période de sa vie, le duc s'éloigna de la politique et entra à l'Académie Française.

Avouez que cette vie est un roman. Et ces lettres sont là pour porter l'existence romanesque d'un homme qui fit assurément tâche parmi les siens. Gaston de Lévis fut sans doute un noble atypique, qui fit preuve de tolérance pour les idées nouvelles. Il fut un honnête homme au sens où on l'entendait autrefois.

Rendons hommage à Claudine Pailhès et Jean-Louis Marteil d'avoir porté cela à notre connaissance. Grâce à eux, les préjugés les plus tenaces à l'égard des nobles, en prennent un sacré coup. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut penser contre soi, contre ses propres préjugés.

Voici donc l'interview de Jean-Louis Marteil, directeur des éditions de La Louve. Bonne écoute.


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