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Culture Chronique aime "Orgueil et désir"

Par Angelalitterature
Culture Chronique aime
“PFFF … Ecrire un roman à 17 ans passe encore !  Mais qu’un éditeur le publie, là ça devient franchement grotesque !” Hochements de tête approbateurs des invités, le verre de champagne à la main, qui  font cercle autour  de notre artilleur.  Je hais les cocktails germanopratins. Vous me direz pourquoi y allez vous ? Parce qu’on y fait des rencontres littéraires pardi …  Notre critique a dit PFFF... et ce PFFF me fait penser au roman d’HélèneSturm qui fut un de mes coups de coeur de l’année. Je me demande ce qu’il penserait de PFFF notre  artilleur à la triste mine et à la langue bien pendue (le champagne sans doute… ).  On me dit que c’est un critique littéraire important et quand on me donne son nom  je me souviens que je l’ai lu à une époque. Le genre de type qui s’escrime à décortiquer des livres qu’il déteste pour les descendre en flammes … C’est un métier. Ce soir c’est un petit roman  de 104 pages qu’il a dans le collimateur : Orgueil et désir de Myriam THIBAULT, 17 ans.   J’écoute désormais d’une oreille distraite  notre coupe jarrets des salons littéraires achever son assassinat.  “ Il n’y a rien là dedans,  une écriture vide,  aucun ressort narratif …du vent !”. Et bien voilà notre jeune  auteure habillée pour l’hiver. Je vois  le regard de notre homme balayer un instant l’assemblée, dès fois que l’éditeur trainerait dans les parages… Courageux mais pas téméraire. La conversation tourne rapidement en un échange entendu sur la nullité  du système d’enseignement français  et particulièrement dans le domaine littéraire.   “Wech la princesse de Clèves jl’ai  vu à poil dans Gala !”  Mauvaise imitation d’un gamin de banlieue par un jeune  prof  de lycée parisien.  Là on touche le fond. Je sens la moutarde me monter au nez mais bon je suis invité… Pour moi ces gens là se présentent comme les derniers défenseurs de la langue française mais les profs de banlieue sont vraiment à Verdun alors qu’eux se contentent d’organiser la défense passive dans le parc du Luxembourg.  Pour le coup leur langue n’est pas la mienne.  Je siffle ma coupe de champagne et j’avale une poignée de cacahuètes en me disant qu’à la première occasion je mettrai la main sur ce roman au titre gentiment austinien “Orgueil et désir”.  Le soir en rentrant je découvre que Myriam Thibaut est amie sur Facebook avec Culture Chronique. Je lui écris un petit mot et elle me répond de manière fort amène. Visiblement cette jeune fille ne confond pas La Princesse de Clèves avec la petite amie de Fifty Cent.  J’ai lu ce petit roman.  Vous savez que si je devais en dire du mal  je n’aurais même pas essayé d’écrire le début du commencement  du moindre papier sur le sujet.  Je ne dis du mal que de Christine Angot parce qu’elle le mérite bien et qu’en plus cela donne un sens à sa vie qui sinon n’en aurait pas.  Je voudrais  d’abord dire que j’ai enseigné la littérature pendant des années et que je me réjouis qu’une jeune fille de 17 ans ait envie de devenir écrivain car c’est une ambition  déraisonnable  exigeant une vie de travail et qui n’engage pas l’avenir de l’humanité.  A 17 ans il serait dommage de n’être pas déraisonnable.  C’est aussi un passe temps très supérieur à tout ce qui peut exister sur terre, exception faite de la musique qui est susceptible de procurer autant de plaisir.  J’ajouterais qu’une jeune fille qui écrit à le droit de produire une oeuvre inaboutie, insuffisante ou  franchement  ratée. Ce n’est pas grave.  Mais justement ce n’est pas le cas d’Orgueil et désir qui  tient vraiment la route. Au terme de cette lecture je me suis dit que notre critique germanopratin souffrait de cet aveuglement littéraire propre aux 6 premiers arrondissements de Paris et qui consiste généralement à juger sur plan sans jamais faire l'expérience de la réalité du texte. C'est incroyable le nombre de romans qui sont exécutés dans les cocktails parisiens avant même d'être lus. Sans doute un effet de la pentecôte littéraire dont certains esprits supérieurs ont dû bénéficier. Je ne fais malheureusement pas partie de ces élus, besogneux que je suis, condamné à lire des romans à longueur d'année et à ne jamais parler de ceux que je trouve mauvais... Mais revenons à celui qui nous intéresse, le fameux Orgueil et désir. Certains profs de lettres sont bien placés pour savoir qu'un gamin de 17 ans abonné à la littérature  depuis une décennie et ayant du goût pour l'écriture - vous croyez quoi, ça existe encore ...-  peut manquer légèrement de technique narrative mais compenser par une acuité des points de vue et un sens de la formule tout à fait rafraichissant.  Quels conseils pourrions nous donner à un écrivain en herbe ? D'abord de faire court afin d'éviter tous les pièges du délayage dont Balzac reste - aujourd'hui encore - le maître absolu mais avec quel génie ! Ensuite se limiter à quelques personnages, précaution salutaire qui permet de resserrer l'action à l'essentiel. Enfin retenir une intrigue simple, gage d'une maitrise certaine de la dimension narrative. Dernier point, finir sur une chute habile procurant au lecteur la satisfaction d'avoir parcouru une œuvre qui soigne les détails. Autant de points scrupuleusement respectés par Myriam Thibault tout au long de la centaine de pages d'Orgueil et désir.  Cette prudence révèle chez notre jeune auteure  une capacité à s'évaluer et à travailler dans les meilleures conditions.  Bien des écrivains chevronnés seraient bien inspirés de revenir parfois aux fondamentaux plutôt que de s'embarquer dans des marathons littéraires qui les épuisent et laissent le lecteur sur le flanc. Myriam Thibault ne se prend pas pour Garcia Marques et c'est heureux. Son petit roman est une plongée dans un univers parisien fort joliment croqué.  Elle applique avec habileté  les règles du théâtre classique : unité de lieux, de temps, d'action. Deux personnages, un homme une femme, il l'aperçoit, elle lui plait, il la suit dans Paris, ils finissent par se parler. Roman d'époque donc, mais roman qui ne semble marquer aucune fascination pour la nôtre malgré une connaissance évidente de ses codes. Evidemment Myriam Thibault n'est ni Proust, ni Flaubert. Mais combien d'écrivains français contemporains se sont portés à cette hauteur de style ? A dire vrai aucun. Au moins notre jeune auteure ne prend pas de poses et s'engage sur un terrain littéraire où ses forces peuvent suffire dès lors que la distance lui permet de garder son souffle jusqu'à la dernière ligne. Elle privilégie dans une économie de moyens toute provinciale la simplicité des situations et l'efficacité des formules. A ce titre la formule conclusive du roman synthétise fort bien ce qu'est devenu l'esprit parisien dans le demaine des sentiments : " A Paris, plutôt que de vivre une aventure qui nous ferait passer pour un imbécile, on préfère conserver sa réputation. L'orgueil est plus fort que le désir." Comme c'est joliment dit et comme cette formule en dit long sur la profondeur affective des milieux disons "branchés" de notre chère capitale. Le récit qui se concentre sur une course poursuite amoureuse, débouchera sur une situation où le seul bénéfice parait être l'écoulement du temps humain. De l'agitation, de la superficialité, de la trahison commune mais au terme du cheminement rien de solide ne se sera construit. Un peu comme lors de ces fêtes bobo où tout le monde se connaît, se frôle, s'abandonne parfois mais où l'équilibre des forces reste le même au petit matin.Tout sauf l'engagement, le langage devenant l'instrument de l'évitement, des faux semblants et  finalement des conventions.  Myriam Thibault se montre pour le coup d'une lucidité bien de son âge. Disons le tout net les haussements d'épaules de notre critique sont ceux d'un aveugle doublé d'un sourd car c'est bien connu "On n'est pas sérieux quand on a 17 ans !". Le sérieux vient plus tard ou du moins le vernis du sérieux. A 17 ans on ne fait aucun cadeau aux adultes, à leur hypocrisie, on balance des coups de pieds rageurs dans leurs châteaux de sable et on veut encore croire qu'il est possible de faire autrement. En cela Myriam Thibault s’appuie sur sa jeunesse avec beaucoup d'à propos. Ses 17 ans lui sont bien utiles pour pointer  l'inanité de certaines conduites affectives  : vision chirurgicale des rapports humains, souci  vital de distanciation, recherche permanente du risque zéro, un peu de  cannibalisme psychologique aussi  et un courage qui se limite à l’abandon pur et simple de l’autre. L’embryon de relation qu’elle décrit est plus vrai que nature au point qu’on peut se demander dans quel genre de boule cristal elle a trouvé toute cette inspiration parce que, tout de même, à 17 ans  on  n’a pas encore tout compris ! Ceci dit on peut être extrêmement observateur.  D’ailleurs dans le fond les écrivains le sont-ils parce qu’ils ont compris  quelque chose ? J’en connais qui écrivent  d’excellents romans mais  dont  la vie affective  ne passe jamais la barre des douze ans d’âge mental. C’est embêtant pour eux mais  absolument pas pour le lecteur.  Ainsi va la littérature. Vous tombez sur un roman écrit par une jeune fille qui se paie le luxe d’avoir l’âge éternel de Rimbaud  et vous vous dîtes au terme de sa lecture  que certains critiques devraient ravaler  leur orgueil et retrouver un peu de vrai désir…  Et si Orgueil et désir annonçait une belle carrière littéraire  …  C'est en tout cas mon avis !   ARCHIBALD PLOOM (2011), Culture Chronique. "Orgueil et désir", n°75 du classement des lecteurs de Culture Chronique.

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