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Grèce, banques, euro : premières leçons du dernier plan définitif en date.

Publié le 27 octobre 2011 par Ps76

sommet_europ-enC’est à 4 heures du matin ce jeudi qu’un accord a été annoncé à Bruxelles. S’y tenait le dixième sommet européen en vingt mois pour élaborer LE plan décisif destiné à éteindre l’incendie des dettes souveraines, priver d’allumettes les spéculateurs-pyromanes et éviter que la monnaie unique ne se perde dans les cendres.

A l’issue du conclave, le Président de la République française a déclaré : « Nous avons adopté les éléments d’une réponse globale, d’une réponse ambitieuse, d’une réponse crédible à la crise qui traverse la zone euro. Je crois que le résultat sera accueilli avec soulagement par le monde entier qui attendait des réponses fortes ».

En l’écoutant à leur réveil puis en le regardant ce soir à la télévision avant d’aller dormir, les citoyens auront été saisis d’une impression de déjà-vu.

- Le 16 décembre 2008, devant le Parlement européen, il affirmait : « Si nous n’avions pas pris nos responsabilités, nous nous serions trouvés face à la faillite d’un certain nombre d’Etats membres ».
- Le 11 mars 2011, à l’issue d’une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, il lançait : « Ce sommet était très important. Nous avons enfin mis en place le gouvernement économique de l’Europe, comme la France l’a toujours demandé ».
- Le 10 mai 2011, après un sommet européen, il déclarait : « Aujourd’hui, c’était l’heure de vérité pour la zone euro (…) Désormais, les spéculateurs devront savoir qu’ils en seront pour leurs frais ».
- Le 27 juillet 2011, dans une lettre adressée aux parlementaires, il écrivait : « Le sommet qui s’est tenu à Bruxelles jeudi [21 juillet] a constitué une étape fondamentale. Il a d’abord permis l’adoption d’un plan global et ambitieux de soutien à la Grèce. »
- Le 16 août 2011, à l’issue d’un sommet franco-allemand à l’Elysée, avec A. Merkel, il écrivait au président du Conseil européen : « Au cours des derniers mois, les chefs d’Etats et de Gouvernements ont pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la stabilité de la zone euro. »

Une telle série de déclarations définitives éclaire d’une autre lumière, moins officielle et moins satisfaite, le sommet qui s’est tenu hier. Concrètement, en quoi consistent les décisions des dirigeants européens ?

Décision n°1 : le Fonds européen de stabilité financière (FESF), actuellement doté de 440 milliards d’euros, va voir sa puissance de feu portée à 1 000 milliards d’euros.
Il garantira une partie du risque supporté par les investisseurs qui rachèteront de la dette publique. L’ennui, c’est que ce plafond n’a fait l’objet d’aucun engagement écrit. L’ennui, c’est qu’il est inférieur aux besoins potentiels – la possible contagion de la Grèce à l’Italie et à l’Espagne – et aux attentes des marchés – au lendemain des dernières réunions du G20 et du FMI en septembre dernier, un seuil à 2 000 milliards d’euros avait été présenté comme réellement dissuasif. L’ennui, enfin, c’est que l’Allemagne, premier contributeur au FESF, ne veut pas entendre parler d’une telle augmentation. Avec les pays de l’Europe du Nord, elle se réfugie derrière l’article 123 du traité de Lisbonne qui « interdit d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit » aux institutions, administrations et autorités publiques des Etat de la zone euro.

D’où la décision n°2 prise cette nuit à Bruxelles : la création d’un « véhicule spécifique » pour conforter le FESF.
Il sera abondé par les banques elles-mêmes et… par des acteurs publics non-européens. Que l’Europe se tourne vers des puissances extérieures pour se sauver elle-même est une première depuis le plan Marshall mobilisé par les Etats-Unis entre 1947 et 1951 afin de reconstruire le Vieux continent. Concrètement, l’Union va faire la quête auprès de la Chine, de la Russie ou encore du Brésil pour qu’ils rachètent de la dette publique d’Etats européens sur le marché secondaire via des titres garantis par le FESF. L’ennui est que ce fonds spécial conçu comme un pare-feu pourrait bien être un cheval de Troie, notamment pour la Chine qui détient actuellement 500 milliards d’euros de dette européenne et qui conditionnera sa participation accrue à des contreparties sévères – il faudra que les citoyens en sachent, le moment venu et dans la transparence, la nature et la durée. Déjà, les puissances émergentes-émergées ont exigé que ce fonds-bis soit adossé au FMI, dont la gouvernance et les moyens sont connus, plutôt qu’au FESF perçu comme un bidule technocratique dont les Européens ont le secret.  Bien sûr, le G20 à Cannes début novembre permettra d’acter l’architecture d’ensemble, mais aussi de vérifier la bonne volonté des Etats-Unis, premier contributeur du Fonds monétaire et qui ne versent que peu de larmes face à la crise de confiance et de croissance qui frappe l’Europe, sa croissance, son industrie et ses places financières. Reste une réalité : plutôt que de modifier leurs traités pour permettre à la Banque centrale européenne de monétiser la dette européenne comme le font la Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre, les Européens ont choisi de s’en remettre à la Chine dont le PIB est trois fois moins élevé que celui de l’Union. Cette décision des dirigeants européens a bien plus qu’une signification financière, elle a une portée géopolitique : dans la mondialisation, l’Europe renonce à être l’acteur souverain de son futur.

La décision n°3 constitue le volet le plus achevé, le plus satisfaisant aussi, de l’accord : les banques vont effacer 50 % de leurs créances sur la Grèce.
Celle-ci va voir sa dette passer de 160 % à 120 % du PIB, soit encore le double du seuil autorisé par Maastricht – pour mémoire, en France, l’actuel quinquennat s’achèvera dans six mois avec une dette frôlant les 90 % du PIB, de court terme et détenu à plus de 60 % par des créanciers étrangers. Les établissements bancaires ont joué avec les dettes souveraines comme on parie au casino : ils ne sauraient s’exonérer de la facture quand le peuple grec, lui, est étouffé par les mesures de super-austérité qui augmentent les prix à la consommation, réduisent les salaires et diminuent les pensions, ferment des services publics, privatisent des actifs publics (aéroports, gares, autoroutes, etc). Les banques vont devoir renforcer leurs fonds propres à hauteur de 106 milliards d’euros. Comment ? En réduisant leur bilan, en abaissant – enfin ! – les dividendes aux actionnaires et les bonus aux traders, en faisant appel aux marchés. En France – où N. Sarkozy a exclu à ce stade toute intervention de l’Etat –, les besoins des banques sont estimées à 8,8 milliards d’euros. En Italie, ils sont évalués à près de 15 milliards d’euros et en Espagne, aux alentours de 26 milliards d’euros. L’ennui, c’est que la contribution du FESF ne sera pas illimitée et que celle des gouvernements nationaux, si elle devait intervenir, ne pourrait se faire sans alourdissement des déficits et de l’endettement, donc sans aggravation de la crise financière en Europe. Bien sûr, il faut espérer que les marchés réagiront positivement aux décisions de cette nuit – les indices boursiers vont, dans un premier temps, saluer l’accord –, mais ce n’est que dans les semaines et les mois qui viennent que l’on saura si la question de la restructuration / recapitalisation des banques a été durablement résolue à Bruxelles. Faute de mise en oeuvre rapide de l’ensemble des décisions par les Etats, les instances communautaires et les banques elles-mêmes – les négociations sur les créances d’Athènes, dit-on, ne seront achevées qu’en janvier ! – , la crise pourrait se déployer au-delà de la Grèce pour atteindre l’Italie, l’Espagne puis la France : alors, l’histoire rappellerait durement qu’elle n’est jamais finie.

L’Histoire, précisément : et si les dirigeants actuels, et d’abord le président français et la chancelière allemande, se mettaient à sa hauteur ? Qu’ils doivent aujourd’hui procéder à l’approfondissement économique auquel avait été préféré, dans les années 1990 et au début des années 2000, l’élargissement géographique, c’est une évidence. Mais qu’ils renoncent à leur tour à toute perspective volontaire, ambitieuse, politique en somme, pour l’Europe est désespérant.

Que serait une Europe à la hauteur de l’Histoire et de l’attente des peuples ?

Primo : une Europe qui accepte enfin d’en finir avec l’uniformité institutionnelle et l’unanimité procédurale pour mettre en place un premier cercle de pays euro-volontaires et euro-solidaires.
Ensemble, ils appliqueraient leurs décisions vite et bien pour gagner la bataille du temps face à l’instantanéité des marchés financiers ; ils stopperaient la spéculation sur les dettes souveraines grâce à une redéfinition du rôle et des objectifs de la BCE ou à l’émission d’euro-obligations ; ils créeraient une agence de notation publique ; ils mettraient en oeuvre une taxation des transactions financières dont le montant serait affecté à la réduction des déficits et au financement de grands projets scientifiques, technologiques, énergétiques, industriels ; ils remettraient les banques au service de l’intérêt général européen en séparant les activités de dépôts et les activités spéculatives, en interdisant certaines pratiques périlleuses comme les ventes à découvert, en interdisant les relations des banques européennes avec les paradis fiscaux et les trous noirs de la finance ; ils pourront utilement jeter les bases du juste-échange commercial consistant à faire respecter, aux frontières de l’Union, les normes sanitaires, sociales et environnementales contre les dumpings. Bref, on a besoin d’une Europe offensive et défensive : aujourd’hui, elle est surtout passive.

Secundo : une Europe qui n’oublie pas la démocratie en route.
C’est le débat relancé sur le « fédéralisme ». Encore faut-il savoir ce que recouvre ce concept dans les intentions de ceux qui le martèlent… S’il s’agit d’une subsidiarité clarifiée, d’une répartition des rôles mieux délimitée et mieux assumée entre Etats et Europe d’une part, entre instances européennes d’autre part, alors bravo. S’il s’agit de politiques plus offensives menées de concert – et d’abord entre la France et l’allemagne –, tels que les Eurobonds contre la spéculation et pour les projets d’avenir, alors banco. Mais s’il s’agit de nouveaux transferts de souveraineté, alors il faut dire lesquels et comment les rendre vraiment démocratiques. Par exemple, à Bruxelles, vient d’être acté – à la demande de la Finlande et des Pays-Bas – le principe d’une supervision par la Commission des budgets des pays en déficits excessifs : une surveillance et une possible correction en amont, un contrôle dans l’exécution en aval. Mais les gouvernements comme les parlements nationaux ont pour eux la légitimité du suffrage universel. Quant au consentement à l’impôt, il est consubstantiel à l’Etat-nation, la forme européenne de la démocratie. Inversement, l’accord de Bruxelles s’est joué la veille à Berlin, lorsque le Bundestag a permis à Mme Merkel de négocier une extension du FESF : la légitimité démocratique de l’Europe à adapter sa stratégie face à la crise grecque ne devrait-elle pas dépendre non du Parlement allemand, mais de l’euro-parlement où 736 députés représentent 450 millions de citoyens européens ? Attention à la tentation post-démocratique alors les peuples se sentent déjà tenus à l’écart de la construction européenne.

Tertio : précisément, on a besoin d’une Europe qui, tout en se musclant dans la mondialisation, responsabilise ses Etats membres.
L’un des leviers de la reconquête populaire de l’Europe passe par là. Encore faut-il s’entendre sur la feuille de route. Actuellement, la pire des options a la faveur des gouvernements conservateurs-autoritaires : partout, ils mettent en place des cures d’austérité pires que le mal. Les Italiens ont découvert qu’en 24 heures, leur président du Conseil s’était engagé à reporter l’âge de la retraite à 67 ans. Nous autres, Français, écouteront l’huile de foie de morue du docteur Sarkozy ce soir à la télévision – déjà, on nous annonce une hausse de la TVA. Le contre-exemple grec devrait servir de leçons : plus d’austérité génère moins de croissance, donc moins de rentrées fiscales, donc plus de déficits et d’endettement qui requièrent plus d’austérité, et ainsi de suite. Quelle est l’ultime étape ? Demander aux Grecs de privatiser l’Acropole ? La rigueur à la puissance dix ajoutera le chaos social à la récession économique. Ce que l’Union européenne doit impulser, c’est un chemin de sortie de crise dans lequel chaque pays puisse inscrire ses pas : le sérieux budgétaire doit être obtenu graduellement si l’on veut affecter des marges d’action à l’enseignement supérieur et à la recherche, à la formation initiale et continue, au redressement productif et à la constitution des filières industrielles d’avenir (énergies, mobilité, santé, agro-ressources, numérique, etc.) sans lesquels il n’y aura ni croissance ni emplois. Entre Europe et nations, la stratégie doit être partagée. Ainsi, en matière de fiscalité : au plan européen, il y a urgence à adopter une assiette commune et un taux minimum de l’impôt sur les sociétés pour mettre fin à la concurrence mortelle entre Etats ; au plan français, il y a urgence à rendre la fiscalité plus progressive, à mettre fin aux niches fiscales et sociales injustes et inefficaces, à simplifier et à rendre plus lisible l’impôt pour les citoyens.

Quarto : l’Europe à la hauteur de l’Histoire, c’est une Europe capable de se doter d’une grand projet pour le demi-siècle qui vient.
Un projet capable d’entraîner les jeunes, les salariés, les entrepreneurs, les créateurs, les chercheurs, les innovateurs, les collectivités territoriales, les universités et les écoles. Face à la crise économique, sociale et environnementale, l’ambition d’une Communauté européenne des énergies apparaît indispensable. Mutualiser les moyens humains, technologiques, productifs, financiers pour réaliser un plan européen d’économies d’énergie dans les logements (isolation-rénovation) et les déplacements (transports collectifs et véhicules décarbonés), ainsi que pour engager l’indispensable transition énergétique pour mettre fin à notre dépendance au nucléaire et au pétrole, soutenir les énergies renouvelables sans exclusive, bâtir les filières industrielles d’avenir, sécuriser les approvisionnements aussi – voilà une tâche à la hauteur de l’Europe. Soixante ans après la mise en commun du charbon et de l’acier, il est temps de relancer l’Europe grâce aux énergies du futur. « L’Europe se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait », écrivait Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, le 9 mai 1950. Les pères fondateurs ne sont pas seulement là pour être célébrés : leur vision doit être continuée.

Guillaume Bachelay, Secrétaire national du Parti Socialiste
Le 27 octobre 2011


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