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Interview de Hiruma Yoshiaki, innovation et parfum du thé à Saitama

Par Florentw
Le génial producteur de thé du département de Saitama, Hiruma Yoshiaki 比留間嘉章 (54 ans) a accepté de répondre à mes questions. Toujours en tête de course lors de concours, artiste du malaxage à la main (temomi 手揉み), il est très remarqué pour ses sencha utilisant la technique de flétrissement pour en dégager un parfum inédit au Japon.
Interview de Hiruma Yoshiaki, innovation et parfum du thé à SaitamaQu'est-ce qui vous a poussé à devenir producteur de thé ?
Durant l'été de ma dernière année de lycée, je n'avais pas encore décidé de la voix qu'emprunterai pour mon avenir, mon père m'a demandé si je ne partirai pas étudier le l'agriculture du thé à Shizuoka. Etant alors membre du club l'athlétisme j'envisageai alors éventuellement de devenir professeur d'éducation physique, mais j'ai suivi l'idée de mon père et suis entré à la section culture du thé de l'Université Départementale Cycle Court d'Agriculture de Shizuoka. Mon diplôme en poche j'ai commencé à travailler avec mon père.


Pourriez-vous nous apprendre quelles sont les particularités du thé que vous produisez?
La plus grande particularité est sans aucun doute mon système de flétrissement par ultra violet.
Je pense que toutes les usines sont faites pour créer une certaine originalité, mais la mienne possède cette particularité très personnelle de donner au thé ce "parfum de flétrissement"(*1).
Interview de Hiruma Yoshiaki, innovation et parfum du thé à Saitama Dans l'usine de Hiruma-san, la machine à flétrir les feuilles (*2)

Pour quelles raisons éprouvez-vous un si vif intérêt pour ce procédé de flétrissement du thé, qui ne semble pas présent dans les techniques de fabrication japonaises, et pour les thés noirs et semi-fermentés (*3) ?
Même s'il n'est pas utilisé consciemment dans le but de créer du parfum, le procédé de flétrissement n'est pas une chose spéciale au Japon. Il fait parti intégrante du procédé de séchage.
Pour ma part, je m'intéresse à la vaste palette de parfum que l'on peut faire ressortir du thé grâce au flétrissement.
Pas seulement pour le thé vert, il s'agit d'une arme puissante pour l’innovation dans la fabrication du thé.
Néanmoins, apprendre et perfectionner une telle technique n'a pas dû être chose aisée au Japon. Comment avez-vous étudié ?
A l'origine, rien de volontaire, un de mes thés ayant par hasard ce parfum particulier fut très apprécié par l'un de mes acheteurs. Ainsi, il m'a fallu expérimenter pour pouvoir répondre à la demande de ce client.
Plutôt que grâce à des conseils extérieurs, c'est à force d'expérimentations et d'échecs que j'ai perfectionné peu à peu mes techniques.  Ensuite, à l'inverse, lorsque que j'ai commencé à me faire connaître pour la rareté de mon travail,  j'ai commencé à recevoir nombre d'aides et de conseils, qui m'ont permis d'aller encore plus de l'avant.
Aussi, j'ai eu ma chance à maintes reprises de pouvoir aller étudier la fabrication du thé à Taiwan, ce qui fut riche d'enseignements.
Avez-vous un but précis qui vous pousse à fabriquer des thés noirs et des thés semi-fermentés ? Est-ce que ces expériences vous confèrent quelques astuces pour la fabrication de sencha ?
Mon but final est bien de pouvoir donner au sencha un parfum attrayant.
Néanmoins, qu'il s'agisse de thé noir ou de thé semi-fermenté, je travaille de toute façon avec la volonté de créer des produits de qualité, mais en même temps, il n'est pas dans mes motivations de fabriquer des produits qui n'existent que pour eux-mêmes.
Quels sont les défis qui vous attendent dorénavant ? 
Il me semble que je n'ai pas le temps de m'attaquer à la création de thés complètement nouveaux, si bien que je pense que je doit m'atteler à la recherche d'un parfum tout personnel.
La saveur d'un thé est pour majeure partie liée au mode de culture du théier, mais le parfum, lui se décide après la cueillette durant la manufacture du thé.
J'aimerai pouvoir réussir à fabriquer un thé qui ait suffisamment de goût en tant que sencha, et un parfum plein de personnalité.
Interview de Hiruma Yoshiaki, innovation et parfum du thé à SaitamaQuelles les particularités des thés du département de Saitama (*4) ? Comment vous y positionnez-vous ?
Alors que les mêmes cultivars, les mêmes machines aussi, sont utilisées dans tout le pays, je pense les particularités régionales des thés se sont effacées.
Je pense qu'il serait bon, comme à Kagoshima, d'exploiter des cultivars typiques de la région, avec des modes de culture et de fabrication qui y soient adaptés. Mais aujourd'hui, à Saitama, il n'y a rien de ce genre qui ait un impact particulier.
La seule chose, serait ce que l'on appelle "Sayama bi-ire" (*5), mais il s'agit à l'origine d'une méthode de torréfaction manuelle, et pratiquée avec une machine, on pourrait obtenir la même chose n'importe où si l'on utilise la même machine.
Au milieu de la production de thé de Saitama, je suis ce que l'on peut appeler un original.
On entend souvent parler de « Sayama bi-ire », mais de quois’agit-il plus exactement ? Existe-t-il encore une pratique manuelletorréfaction du thé au Japon ?
Je pense qu’il ne doit presqueplus y avoir de thé destiné au commerce torréfié manuellement.
Je suis le président del’Association pour le Préservation du Sayama Hi-ire. Cette torréfactionmanuelle étant pratiquée sur un hoiro(*6),  les membres sont les mêmes queceux de l’Association pour la Préservation du Thé de Sayama Malaxé à la Main dela Ville de Iruma.
Laparticularité du Sayama bi-ire, c’est l’importance prêtée à un très bonséchage. Le fait que l’on ne tienne pas en haute estime un fort parfum detorréfaction est intéressant. (…) Durant la phase où les feuilles sontfrottées, elles se teintent comme d’une sorte de poudre  blanche, et on dit que cela a effet deralentir la détérioration de la qualité du thé. Ainsi, durant la grande époquede l’export du thé japonais (*7), ce « thé blanc » fut dit-on trèsrecherché. 
Depuis un certain nombre d'années, le thé japonais vit des heures difficiles, comment voyez-vous son avenir ? Qu'est ce qu'il faudrait selon vous changer ?
A l'heure où la culture, la culture culinaire en particulier, subi de profondes modifications, il me semble peu probable de voir la demande pour thés en feuilles augmenter.
Faudrait-il travailler à proposer une culture gastronomique en accord avec le thé japonais ? Ou au contraire, faudrait-il développer un nouveau thé en accord avec la culture gastronomique ?
Dans les deux cas, c'est quelque chose qui est impossible à réaliser au niveau individuel. Un large mouvement propulsé par les autorités et les grandes entreprises est nécessaire.
Interview de Hiruma Yoshiaki, innovation et parfum du thé à SaitamaVous êtes un grand maître de la technique de malaxage à la main du thé. Dans quel esprit travaillez-vous à la conservation et à la transmission de cette technique ?
Je ne crois pas être un grand maître de cette technique, mais en tout cas, le malaxage manuel du thé m'apparaît comme un magnifique art traditionnel.
Pourtant, même si je parle de tradition, au regard de la très longue histoire du thé, cette technique n'a pas encore 300 ans d’existence, et l'on peut dire qu'elle n'est pas encore complètement au point.
Dans la mesure où il y a des jeunes pour la perpétuer, je travaille plus dans un esprit de formation que de conservation.
Quel est votre rapport personnel au thé ?
Je suis producteur de thé, mais en même temps je suis aussi un grand fan de thé.  Ainsi, comme pour le thé que je fabrique, j'attends de celui que j'achète le plus haut niveau de performance.
Avez-vous un message pour les fans de thé japonais du monde entier ?
De la même manière que j'ai peu d'occasion d'être en contact avec l'étranger, je pense que les chances de trouver le thé qu'ils désirent sont également peu nombreuses pour les étrangers.
J'espère qu'ils pourront rencontrer ces thés, qu'il s'agisse de thés authentiques, de thés qui leur aille, et je serais très heureux que parmi ces thés se trouvent les miens comme possibilité de choix.
Les thés de Hiruma Yoshiaki sur Thés du Japon:
Sencha, cultivar Yumewakaba (épuisé) (2010)
Sencha micro-fermenté, cultivar Sayama-kaori (2010)
Sencha micro-fermenté, cultivar Musashi-kaori (2010)
Thé noir, récolte d'été, cultivar Sayama-kaori (2010)
Thé noir, récolte d'automne, cultivar Oku-musashi (2010)
Notes:
(*1) : ichô-ka 萎凋香 parfum florale que dégage le feuilles de thés flétries.
(*2) : UVT Hiruma, machine breveté, mise en place sur toutes les lignes de sencha de l'usine de Monsieur Hiruma.
(*3) : Thés semi-fermentés, ou en réalité "thés semi-oxydés", dont l'oxydation est stoppée par chauffage dans une marmite métallique (méthode chinoise, par opposition à la méthode japonaise, où l'on utilise la vapeur).
(*4) : Département situé juste au nord de Tôkyô. Les thés qui y sont produits sont appelés Thés de Sayama.
(*5) : de "hi-ire" (火入れ), sorte de torréfaction, phase de séchage finale d'un thé.
(*6) : le hoiro 焙炉 est le plan de travail rectangulaire surlequel est pratiqué le malaxage à la main du thé japonais. Il est composé d’unfoyer, source de chaleur, au dessus duquel se trouve une surface de papierjaponais renforcée par une armature en métal.
(*7) : Durant la 2èmemoitié du 19ème siècle, le sencha se développe en tant que produitdestiné à l’export, au point de devenir le 2ème moteur de lacroissance du Japon après la soie. Pour plus de détails, voir l’article ici
Interview : Florent Weugue
Crédits photos : Hiruma Yoshiaki

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