Magazine Culture

A Lisbonne, la vie en double

Par Memoiredeurope @echternach

A Lisbonne, la vie en double

Hervé Le Tellier  a de très jolies phrases sur Ulysse : « Qu’était-ce que l’Odyssée, sinon la chronique d’un aventurier qui a aimé Circé la magicienne, la nymphe Calypso, à qui l’on a promis la main de Nausicaa et qui ne cesse, trompant les apparences, de différer son retour ? Un homme qui, la nuit où les dieux le déposent de force sur la plage d’Ithaque, est si furieux de son sort qu’il se livre au plus inutile et sanguinaire des massacres, quand prononcer son seul nom d’Ulysse eût suffi pour que les prétendants s’inclinent. »

Et ainsi tant d’autres interprétations d’écrivains durant les siècles nous montrent tous combien l’universalité du guerrier constitue un espace attirant, où chacun trouve des excuses à ses propres faiblesses en les baptisant du vocable de sort défavorable.

Notre sort est de parcourir une mer qui nous semble incertaine et qui est pourtant déterminée par l’entêtement des dieux marins à combattre la progression des hommes vers leur but par l’utilisation répétée de toutes les tentations. Ulysse le rusé ne fait que ruser avec lui-même et sa conscience. Toutes les autres ruses sont des prétextes pour briller aux yeux de ses femmes, ou de ses compagnons et pour survivre afin de jouir pleinement de tous les plaisirs que lui offre l’épisode suivant. Homère nous offre en cela une méthodologie toute prête pour construire de mauvais arguments afin de mentir et en tirer une œuvre de grande beauté.

Et ainsi, James Joyce, dans une langue démoniaque: : “Solemnly he came forward and mounted the round gunrest. He faced about and blessed gravely thrice the tower, the surrounding land and theawaking mountains. Then, catching sight of Stephen Dedalus, he bent towards him and made rapid crosses in the air, gurgling in his throat and shaking his head. Stephen Dedalus, displeased and sleepy, leaned his arms on the top of the staircase and looked coldly at the shaking gurgling face that blessed him, equine in its length, and at the light untonsured hair, grained and hued like pale oak.”

Et ainsi Ulysse from Bagdad d’Eric-Emmanuel Schmitt: « Je m’appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste »

Si je suis poursuivi par Ulysse à chaque réunion du projet Odyssea et si je dessine le personnage à petites touches enfantines en espérant en tirer un jour un parcours initiatique, je n’en n’oublie pas pour autant d’où vient ma première citation.

Hervé Le Tellier a publié cette année le roman « Eléctrico W », du nom d’une ligne de tramway de Lisbonne (Jean Claude Lattès). Alors je me suis laissé conter dans une belle langue l’histoire de deux hommes et de quelques femmes par ce membre de l'Oulipo. Personnages d’hommes perdus comme ceux de « Lisbon Story » dans les secrets de la ville dont ils s’inspirent et de femmes incendiaires qui finissent par se brûler.

Rien n’échappera à la barbarie des hommes qui aiment les femmes et à la résistance des femmes qui aiment les hommes. Comment pourraient-ils alors se rencontrer vraiment ?

« Le poète sait l’art de feindre

Il feint si complètement

Qu’il finit par feindre qu’est douleur

La douleur qu’il sent vraiment.

Et ceux qui lisent ce qu’il a écrit

Sans la douleur lue sentent bien

Non les deux qu’il a connues

Mais celle qu’ils ne connaissent pas

Et ainsi, sur ses rails

Tourne en rond, à entretenir la raison,

Ce petit train mécanique

Qui s’appelle cœur."

Ainsi écrit Pessoa.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Memoiredeurope 194 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines