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Benjamin Berton, Foudres de guerre

Par Eric Bonnargent

Sarkozysme et schtroumpfs rebellesMarc Villemain

Benjamin Berton, Foudres de guerre

Éditions Gallimard

Le durcissement de la sociétéfrançaise (qui ne date pas, loin s’en faut, du triomphe de Nicolas Sarkozy,mais que celui-ci incarne avec la morgue et l’audience que l’on sait) ne peutpas ne pas trouver écho dans la littérature contemporaine. Il sera d’ailleurspassionnant, demain, (un jour…), de scruter le paysage littéraire des annéessécuritaires. Ce quatrième roman de Benjamin Berton, un peu déjanté derrière satrès respectable façade gallimardienne, permettra alors peut-être, à défaut dedresser un état des lieux scientifique de la France, de se faire une idée de cequi se tramait dans la tête de la majoritésilencieuse et de ce que tentait de lui opposer un underground parfois plusofficiel qu’il y paraît. Écho plus ou moins direct mais parfaitement assumé despaysages mentaux de Quentin Tarantino, Luc Besson ou Enki Bilal, Foudres de guerre relate l’aventure, apriori très improbable, d’une sorte de Club des Cinq de la post-modernité, ouplutôt de schtroumpfs gavés aux comicset aux mangas, au hip hop et au rap, aux snuffmovies et à la télé-réalité, à la fascination mortifère et à la Nike philosophy, à l’hindouisme de Prisuet à l’hédonisme pour pas cher. Inopinément, et au cours d’aventures dont lemoins que l’on puisse dire est qu’elles sont invraisemblables, nos schtroumpfs désœuvrés vont se retrouver à défier l’État au point d’incarner, spectacleoblige, un espoir quasi mystique pour un grand nombre de jeunes. Ainsi éclot la« gohsnmania », référence àcelui qui se baptisa pour les besoins de la cause du nom ésotérique de GohsnFrost – en réalité un grand ado tout aussi désoeuvré que les autres. La figurede ce Gohsn Frost avait « pour seulequalité d’être insondable et vierge de toute signification, ce qu’exigeaientdes consciences revenues de tout », et apparaissait comme une « synthèse réjouissante entre le marxisme, lesinsurrections de banlieue et le situationnisme ». C’est peu dire si,dans la France des années 2010, quand sévit comme ministre de Nicolas Sarkozyle terrible Général Duval, leurs chances de succès étaient maigres.L’intelligence de Benjamin Berton permet tout à la fois de stigmatiser laFrance qui domine (capitaliste, frileuse et policière) sans omettre de railler(gentiment) quelques-unes des postures les plus cool du gauchisme quand celui-ci a perdu son armatureintellectuelle. Car si le message n’est pas discutable (en gros, l’air du tempsest devenu irrespirable), l’auteur, dont on perçoit la tendresse particulièrepour une génération qui perd pied dans le monde sans savoir ou vouloirvéritablement le changer, dresse aussi un tableau assez hilarant du tropismecontestataire, anti-pub et hyper marqué, écolo et technoïde, anarchiste etcynique, rebelle et dilettante. 
Là où un Maurice G. Dantec décideque notre destin d’humain ne mérite plus même une pointe d’humour, BenjaminBerton se lance dans le défi de l’anticipation politique et sociale avec l’âmedu cancre du fond de la classe, plus brillant qu’il y paraît, mais surtout plusmélancolique. Car on ne peut douter, à l’issue de cette rocambole tragique, quel’ironie très détachée dont il fait preuve sert aussi de paravent à une penséedu crépuscule. « A notre époque,rien ne se produit jamais pour la première fois. Tout a déjà été vécu, pensezpas ? », assène le narrateur dès les premières pages. On sesaurait mieux dire, et résumer ce qui constitue sans doute une part du surmoide ces jeune gens, hyperactifs du verbe et mollassons de la praxis. Gohsn Frostne fait qu’incarner l’inconscient de sa génération : « Qu’est-ce que vous voulez faire pour que ça change ? Rien.Alors ne faites rien et tout cela changera selon vos vœux ». Leurslogan, devenu le mantra du temps, donne une idée de cette forme nouvelle ettrès dérangeante de rébellion : « J’aimeraisautant pas. »
Autant dire qu’on ne s’ennuie pasun instant, nonobstant quelques surcharges et surenchères. Mais il faudra aupréalable accepter de jouer le jeu de la farce : autrement dit, il seraitvain et (sottement) académique de déplorer les (nombreux) défauts decrédibilité. Partir du réel pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas (encore)n’est pas une mauvaise méthode pour explorer les bas-fonds de la conscienceoccidentale. Et si nous aurions parfois aimé davantage de littérature et un peumoins d’exploits caméra sur l’épaule, cette foutraque épopée a le mérite dedire l’extrême précarité du lien qui croit encore faire tenir nos sociétés. Nonsans profondeur parfois : « Il enfaut si peu pour quitter la normalité, un pas de côté, un regard qui traîne.Tant d’efforts sont nécessaires pour border la marge de précautions etd’habitudes et si peu pour tomber dedans » ; ni sanslucidité : « Au fond, nousn’étions rien de plus que tout ce pour quoi l’on nous prenait » – cequi est au demeurant une excellente définition du grand barnum dans lequel nousvivons.
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 5, juillet/août 2007


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