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La Russie à travers les écrivains que j'aime...

Publié le 02 novembre 2011 par Tudry

Georges Haldas, L'Âge d'Homme, 2009, Lausanne.

" Mais par quoi alors, direz-vous, se caractérise cette émotion poétique [...] ? Eh bien, tout simplement - mais tout est là - parce qu'elle demande impérativement, cette émotion, à êtres dite. Transmise par des mots. Mieux : par une parole appropriée, seule capable d'y parvenir : poème ou prose inspirée. Or, cette particularité de l'émotion dite poétique constitue un phénomène d'une importance primordiale. A savoir que cette émotion poétique peut être causée par la vue d'une réalité extérieure à nous - [...] - ou par la remontée : la brusque remontée en nous d'un souvenir par exemple - relevant de la réalité intérieure. Dans le premier cas, l'émotion poétique jaillit de la soudaine et inattendue rencontre du dehors - [...]- et du dedans : notre psychisme. Ce que pour ma part [...], je ne peux désigner que par "les noces du dehors et du dedans". Qui nous permettent de mieux cerner encore la nature spécifique de cette émotion poétique, laquelle est à l'origine de ce que depuis longtemps nous avons appelé "l'Etat de Poésie". "

Georges Haldas, Les Sept piliers de la poésie, L'Age d'Homme, 2009, Lausanne.

Georges Haldas est né le 14 août 1917 à Genève, de père grec et de mère suisse. Poète, essayiste, traducteur (Prix Schiller 1971 et 1977, Grand Prix de la ville de Genève 1971, Prix Taormina 1970), à ce jour il a publié une soixantaine de livres.

L'écriture nuptiale du dehors et du dedans

A évoquer la littérature russe, ce n'est pas un simple voyage temporel dans les " lettres " que nous offre G. Haldas mais, également un authentique voyage dans les odeurs, les senteurs, les lumières, les pénombres, les pestilences, l'architecture, les végétations, les ombres et les nuits... dans tous ces éléments, présents par leur essence, dans les oeuvres russes. Ils nous sont ici restitués, bien qu'évoqués seulement de loin en loin, dans les pages fermement et fièrement amoureuses de ce livre curieux !

Curieux ? Oui, car il ne s'agit pas seulement d'un livre sur les livres ou sur les écrivains, pas plus que d'un recueil de critiques. Dans ces pages denses et vibrantes, sont rassemblées des " préfaces "...

Oui, il s'agit d'un recueil de préfaces. Les préfaces rédigées par Georges Haldas pour une collection idéale qui regroupait des oeuvres d'écrivains russes, oeuvres sélectionnées par ses soins. Une collection construite comme un miroir. Un miroir pour le fleuve littéraire qui s'écoula vigoureux, puissant et rugueux dans l'histoire, avec l'histoire, de l'immense Russie !

Nous voici donc devant un assemblage de préfaces qui ne préfacent plus rien, alors ? Eh bien, elles n'en ont que plus de puissance ! L'écriture est toujours admirative, pas d'une admiration béate et un peu niaise mais de cette admiration née d'une ardente fréquentation, d'un côtoiement fraternel et presque charnel, Georges Haldas s'est chauffé au même feu animique que ces auteurs si différents, dont les différences font, pourtant, cette communauté d'âme, cette fameuse " âme russe " qui se fait plus diaphane à mesure qu'on essai de la mieux définir. On tente, toujours, finalement, par la définition d'emmurer ce qui ne se mesure pas, en particulier en cette époque de réduction de tout au chiffre et au quantifiable.

En quatrième de couverture Serge Molla nous dit ceci : que la littérature russe " ne nourrit pas " Haldas, " elle chemine avec lui ou lui avec elle, tant il se découvre parent de ceux dont il fréquente assidûment les eaux profondes. " ! Pourquoi ? Simplement, Georges Haldas n'écrit pas en critique, il écrit en poète. En " oeuvrier " conscient de ce que la poïétique contient de création, selon sa signification authentique ; c'est-à-dire de liberté, de cette véritable liberté qui est celle de l'Esprit comme l'affirmait avec force Nicolas Berdiaev ! Non, G. Haldas ne s'est pas nourrit de la littérature russe, il ne l'a pas ingéré et digéré, il n'en a pas fait sa pâture, il n'en est pas un prédateur. Il l'a aimé d'un " libre amour " (contre pied total du pseudo " amour libre " des progressistes libidineux) et nous la restitue dans une écriture amoureuse, une écriture nuptiale. Cette écriture qui prouve que l'on aime pas ce qu'on connaît mais que l'on connaît ce qu'on aime, primauté et " primordialité " de l'amour, affirmation quasi charnelle du " principe résurrectionnel de la mémoire " (p.76). Oui, par une sorte de platonisme minimal, Georges Haldas se souvient de ses frères en écritures et par là, nous réapprend ce que l'enseignement " public et obligatoire " avait presque réussi à nous faire oublier totalement : connaître c'est re-connaître, connaître c'est dé-couvrir, retirer les voiles de l'égotisme, de la fausse auto-connaissance pour re-couvrer la vue, l'odorat, l'ouïe de l'autre " toujours-là-présent ", connaître c'est célébrer les noces du " dehors " et du " dedans ", de l'autre en tant qu'autre et de " nous " en tant qu'autre de l'autre !

Entre nous, français d'aujourd'hui, et lui, le poète suisse et tous ces hommes qui en lointaine Russie, écrivirent (en pour ET en contre) il y a une étendue infinie, une étrangeté infiniment, une hétérogénéité de distance et de temps, mais l'écriture amoureuse (agapique), ainsi que le démontre Georges Haldas est ce lieu, par delà la glace et la colère, par delà la nostalgie et la rage,ce lieu de dévoilement, ce lieu du " non-où " de l'authentique rencontre fraternelle !

" Fraternité essentielle et vécue par Georges Haldas qui reconnaît en lui-même une disposition intérieure vers les extrêmes contraires, non dans leur opposition mais dans leur coexistence. Bien et mal, croyance et doute, sublime et ridicule l'habitent, se disputent son intériorité comme ils forgent le caractère des personnages et des auteurs russes auxquels la démesure paraît l'unique règle... "

( Serge Molla, " Un russe d'adoption ", préface à Georges Haldas La Russie à travers les écrivains que j'aime, p. 14)


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