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Bob Marley superstar

Publié le 27 février 2008 par Smaël Bouaici

Marley footballeurPourquoi Bob Marley est-il devenu une star internationale, au point d’éclipser la majorité des autres talents jamaïcains?

D’abord grâce au mixage façon Island. Toutes les chansons des Wailers étaient retravaillées à Londres, dans le studio d’Island, par les ingénieurs du son de Chris Blackwell, qui n’avait déjà quasiment plus que de la pop dans son catalogue. C’est ce traitement pop qui fait que les Wailers ont vu leur musique traverser la planète. Un D.A de maison de disque explique: « Les gens sont toujours choqués quand ils entendent quelque chose de différent. Il leur faut un temps d’adaptation. Marley était traité avec les sonorités auxquelles les gens étaient habitués, alors que les autres gardaient leur son roots. C’est comme si on comparait Khaled et un chanteur du Maghreb qui fait la même chose. Lui garde le son roots, et Khaled est traité à l’occidentale. C’est une sorte de compromis commercial »

Marley une pop star ? Evidemment. Le briquet ornant la pochette de Catch A Fire arrive au moment où l’on se met à bosser sur les designs des albums de rock, dans la lignée de la banane du Velvet Underground. Les Wailers se sont mis au format pop juste après l’album Burnin’ The Wailers. Juste après, Peter Tosh, incapable de se plier aux désirata de Chris Blackwell et refusant de passer à l’arrière-plan, et Bunny Wailer, incapable de s’adapter au rythme des tournées et aux rigueurs de la promo, quittent le groupe. Un seul leader reste, comme il se doit dans un groupe de rock. L’album suivant, Natty Dread, fut un énorme succès commercial. Bob s’éloigne du son roots et du dub qu’affectionnaient les Wailers au temps des productions Lee Perry. L’orientation rock et blues, avec notamment l’arrivée du guitariste américain Al Anderson et de Tyrone Downie au clavier, lui attache pour longtemps un large public de fans. No Woman no cry, tube qui n’a plus grand chose de reggae, ouvre à Bob les portes du star-system. Demandé par tout le monde, il est désormais capable d’attirer en concert plusieurs milliers de personnes sur son seul nom.

Au rythme d’un disque par an, Marley adopte le rythme occidental et développe un côté business man qui fait encore et toujours défaut au milieu du reggae. Alors que le rap amasse, le reggae, qui vient de mêmes rues, galère, faute d’un management compétent. Ainsi, Israël Vibration a quelques dizaines de milliers d’euros qui dorment dans les coffres de la SACEM, en attendant que quelqu’un se bouge pour les récupérer. Sous prétexte d’intégrité, les reggae-boys manquent des occasions en or. Comme Burning Spear, qui refuse un duo avec Erykah Badu, pourtant en plein boost actuellement. Pas sûr que Bob Marley aurait manqué une telle opportunité.

Bien sûr, pour expliquer la domination de Bob, on peut dire qu’il est devenu le chouchou de programmateurs de radio à l’esprit peu aventureux, et de directeurs artistiques aux prises de risques limitées. On peut évoquer le charisme évident du personnage, l’intensité de sa voix, son aura posthume, la qualité de ses musiciens, ses engagement pour le Tiers monde, l’universalité de son message. Ou encore son opportunisme et son ouverture d’esprit, quand il sort Could You Be Loved en pleine effervescence disco ou quand il salut les Clash et les Jam sur Punky Reggae Party.

Mais l’élément le plus flagrant est que Marley s’est extrait des circuits de production jamaïcains, à tel point qu’il n’a pas même jamais enregistré de dubplates. Et il était quand même le seul a faire les fameux concept-albums, si chers à la critique rock. Survival, Kaya ou Exodus sont bien loin des compilations de 45 tours réalisées par les chanteurs de reggae. C’est une différence de culture fondamentale avec les autres artistes jamaïcains qui enregistrent à tout va, plus pour le plaisir que pour l’argent. Là-bas, il n’y a pas de maison de disques qui vous donne un contrat pour tant d’albums sur telle période, et qui vous file de quoi bosser tranquille dessus pendant un an. Quant aux royalties, pas la peine d’y penser, c’est un concept tout juste émergeant sur l’île.

A force d’être payé au single, l’enregistrement à l’excès est devenu une valeur de la musique jamaïcaine. Une valeur qui va complètement à l’encontre des canons du marketing des majors. C’est aussi ce qui a permis aux compositeurs yardies d’expérimenter plus vite que les autres, de créer le reggae, le dub, le toast et tant d’autres styles en un temps record… et d’influencer ainsi plusieurs générations de bidouilleurs de chambre. Au final, c’est peut-être un mal pour un bien. Car qui sait ce que nous réserve la Jamaïque dans les dix prochaines années ?


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