Andrew O'Hagan, Vie et opinions de Maf le chien et de son amie Marylin Monroe (coll. Points/Seuil, 2011)
Les chiens ont de la chance : ils peuvent s’introduire en toute impunité là où la plupart des humains sont éconduits! Tel est le cas de Maf, au pedigree irréprochable, qui a passé des mains de Vanessa Bell - la soeur aînée de Virginia Woolf - à celles de Natalie Wood, puis de Frank Sinatra, enfin à celles de Marilyn Monroe, aux dernières années de sa vie. Un brin intellectuel et snob – il a hérité du collier de Pinker, la chienne de Vita Sackville-West, compagne de Virginia Woolf à une certaine époque – ce dernier nous entraîne dans un voyage sentimental, amusant et inventif pour tous les amoureux de la vie culturelle américaine. Car il a voix humaine, Maf! Avec un penchant pour la philosophie et la littérature - au fil de quelques passages savoureux consacrés à Aristote, Descartes ou Montaigne - il est un incorrigible optimiste qui, servi par des dialogues souvent désopilants jette sur ce petit monde en pleine mutation un regard tendre et plein de malice.
Bien sûr, les rencontres les plus illustres de Maf - diminutif de Mafia Honey - gravitent autour de Hollywood, avec une Nathalie Wood qui se fait constamment un film ou Frank Sinatra dépeint comme un crooner frustre, vulgaire, dépourvu de culture et paranoïaque. A son contact, Maf nous réserve les chapitres les plus hilarants de cette histoire. On y croise ainsi Georges Cukor, Ernst Lubitsch, Liliane Gish, Peter Lawford ou John Wayne dont Frankie dresse un portrait peu flatteur: Ca fait trente ans que ce mec est à côté de la plaque. C'est un taré. (...) Je vais te dire, princesse. Ce type enverrait un millier de gars qui valent mieux que lui en prison rien que pour montrer que c'est lui le gros dur qui fait la police en ville. Il brûlerait un millier de livres plutôt que d'avoir à en lire un.
Mais le coeur de ce roman délicieux et sympathique est voué à Marilyn Monroe. Pas de révélations fracassantes sur les circonstances de sa mort ou ses liens avec le clan des Kennedy, car Andrew O'Hagan s'attache surtout à la personnalité intérieure de son idole: Sa solitude, sa tristesse, sa quête du respect des autres, son manque de confiance sur la scène et dans la vie, sa soif de connaissance, son chemin de douleur qui aboutit à un excès de pilules un certain samedi soir. Un tableau attachant et follement drôle à la fois, car de l'humour, elle en n'en manque pas, cette prétendue ravissante idiote... Un très beau moment du roman se déroule devant la tombe de sa meilleure amie, Alice Tuttle, emportée par une crise d'asthme à l'âge de douze ans: Elle passe un moment à caresser l'inscription de la plaque, suivant chaque mot du doigt comme si elle voulait graver quelque chose de personnel dans sa loi d'airain. (...) Marilyn expliqua qu'elle voulait apporter des fleurs, mais qu'elle n'en avait pas, elle toucha la plaque et se toucha la bouche avant de prendre dix dollars dans sa pochette pour les mettre dans un petit vase en verre plein de poussière. L'herbe semblait très verte, comme de l'herbe de cinéma, mais le vent était réel.
Maf survivra à tous ces héros de légende, nimbé de mélancolie et de reconnaissance. Il mourra néanmoins - comme tout le monde, me direz-vous! - auprès de la gouvernante de Marilyn, Mme Murray, le jour de la démission de Richard Nixon...