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Les mille visages de Louis Boilly s'exposent au Palais des Beaux-Arts de Lille

Publié le 04 novembre 2011 par Jeanchristophepucek
louis leopold boilly femme artiste dans son atelier

Louis Boilly (La Bassée, 1761-Paris, 1845),
La Femme de l’artiste dans son atelier
, c.1796-1799.

Huile sur toile, 40,8 x 32,5 cm,
Williamstown, Sterling and Francine Clark Art Institute.

(photographie © Michael Agee)

Si sa cote est aujourd’hui bien établie auprès des collectionneurs et des marchands d’art, la réputation de Louis Boilly auprès des historiens de l’art comme du grand public demeure encore fluctuante. Nombre des premiers hésitent toujours, ces hiérarchies ayant hélas encore trop largement cours, à déterminer s’il est un grand ou un petit maître, tandis que le second, la plupart du temps, l’ignore assez largement. L’organisation, du 4 novembre 2011 au 6 février 2012, d’une large rétrospective, la plus importante consacrée à l’artiste depuis celle, parisienne, de 1930, au Palais des Beaux-Arts de Lille est donc un événement de première importance et, à mon sens, l’exposition de peinture la plus courageuse de cette rentrée 2011.

D’origine modeste, Louis Boilly, né à La Bassée, à une vingtaine de kilomètres de Lille, le 5 juillet 1761 est le fils d’un sculpteur sur bois qui l’envoie tôt se former à Douai (1774-1778), où un des membres de sa famille est prieur des Augustins, puis à Arras, où son talent de portraitiste, remarqué par l’évêque du lieu, Louis-François de Conzié, lui permet de commencer à se faire connaître. Installé à Paris dès 1785, c’est néanmoins à Arras que Boilly se marie à Marie-Madeleine Desligne (1764-1795), le 10 septembre 1787. Dès l’année suivante, il se lie à Antoine Calvet de Lapalun (1736-1820), un amateur d'art originaire du Sud de la France qui va devenir son mécène jusqu’en 1792, et réalise pour lui une série de huit tableaux de genre (La visite reçue en 1789, L’Amant jaloux en 1791, pour n’en citer que deux) dont l’esprit se rapproche des réalisations de Fragonard. S’il expose au Salon dès 1793, la période révolutionnaire va être relativement difficile pour Boilly qui souffre, comme la majorité de ses collègues, de la raréfaction des commandes et doit, en outre, faire face à des accusations de tiédeur vis-à-vis de la République (un Autoportrait en révolutionnaire de 1793 affiche une moue révélatrice), mais l’année 1795 marque réellement un tournant dans sa vie personnelle et professionnelle.

louis leopold boilly autoportrait 1819
Veuf, il se remarie le 3 novembre avec Adélaïde Françoise Julie Leduc (1778-1819), et commence à s’intéresser au sentiment de détente qui s’empare de la société du Directoire. Le peintre se fait témoin de l’activité des lieux où se pressent la société bourgeoise et les artistes : cafés, jardins publics, ateliers (L’Atelier d’Isabey, 1798, Musée du Louvre) aimantent son attention et il en livre des représentations où la virtuosité des effets de foule ne le cède en rien à l’art du portraitiste, qu’il continue d'ailleurs à cultiver pour lui-même en adoptant progressivement un ton plus nettement romantique, comme en atteste, entre autres, l’extraordinaire portrait du compositeur Boieldieu (1800, Musée des Beaux-Arts de Rouen), ami de Boilly qui enseigna la composition à son fils Édouard (1799-1854), premier prix de Rome en 1823. L’apogée du succès du peintre se situe dans les années 1804-1814, où ses tableaux de la société déploient un charme inouï, fait d’un sens de l’observation aigu, parfois jusqu’à la caricature, des situations et des physionomies, d’un humour souvent piquant, mais aussi d’un indiscutable sens de la mise en scène, comme, entre autres, dans la Scène de boulevard de 1806, conservée à Washington. Sa production se ralentit quelque peu ensuite ; veuf pour la seconde fois en 1819, il expose encore au Salon cette même année, puis ses envois s’espacent, deux tableaux en 1822, trois en 1824, puis une dernière apparition en 1833, année où il reçoit la Légion d’honneur. Louis Boilly meurt à Paris le 6 janvier 1845, il est inhumé au Père Lachaise.

Les responsables de l’exposition pouvaient difficilement choisir meilleure illustration pour l’affiche de cette rétrospective que La Femme de l’artiste dans son atelier. Certes, elle ne comporte pas ces effets de foule que Boilly détaille avec une virtuosité confondante, mais elle traduit bien la formidable capacité du peintre à saisir immédiatement l’individualité d’une expression et d’un instant. Depuis 1869, on sait, grâce à une mention dans un catalogue de vente, que la jeune femme vêtue de blanc feuilletant le carton à dessins posé sur le fauteuil est Adélaïde Leduc, seconde épouse de l’artiste, comme nous l’avons vu. Ses rondeurs, s’il faut en croire Étienne Bréton, révèleraient une probable grossesse, une hypothèse qui permet de rattacher le tableau à la naissance d’un des fils du couple, Julien (1796-1874) ou Édouard, mentionné au paragraphe précédent. Autour d’elle sont disposés les éléments propres à nourrir l’inspiration du peintre et à lui permettre de la matérialiser, qu’il s’agisse des esquisses, des plâtres, des livres, du violon, de la jarre d’huile ou de la toile posée sur le chevalet, dont la virginité est théâtralisée, d’une manière presque baroque, par le drapé pourpré qui la couronne.

louis leopold boilly femme artiste dans son atelier detail
Le côtoiement de la toile blanche et de la femme enceinte, dans lequel on pourrait voir une évocation de deux œuvres en devenir, l’une relevant de la sphère publique, l’autre du domaine privé, lien encore souligné, me semble-t-il, par la projection de l’ombre féminine sur le tissu, est-il un hasard ? Peut-être pas plus que la présence, bien mise en valeur par l’éclairage, du Mercure attachant ses talonnières (1744) de Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785), une œuvre de formidable renommée, louée par Voltaire et représentée par Jean Siméon Chardin (1699-1779) dans Les Attributs des arts (1766), qu’il est possible de lire, par sa position au fond de la scène, symétrique aux deux symboles de l’avenir – la femme enceinte, la toile blanche – comme une révérence discrète à un glorieux passé, envers lequel on peut postuler que Boilly, dont nombre de toiles font se rencontrer des figures incarnant Ancien et nouveaux régimes (un des exemples les plus frappants est peut-être L’intérieur d’un café, datant de 1824 environ et conservé à Chantilly), gardait certainement un attachement.  Si ces pistes de lectures demeurent conjecturales, le regard du peintre sur son épouse est, lui, d’une indiscutable tendresse, de la même façon qu’elle l’envisage avec une affection mêlée de complicité absolument évidente. Le peintre n’a-t-il d’ailleurs pas pris soin de souligner la douceur de cette atmosphère conjugale riche de promesses par un éclairage chaleureux et enveloppant qui renforce la dimension intimiste du tête-à-tête entre le modèle et l’artiste-spectateur ? Il a même disposé, au centre de la composition, une main de plâtre qui semble esquisser un mouvement vers celle de la jeune femme. Pouvait-il trouver plus bel artifice pour suggérer à la fois sa présence et son attachement ?

La production de Boilly mérite largement que l’on s’y attarde, car sa richesse autorise des approches extrêmement diverses. L’esthète gourmet y trouvera son compte tant dans la finesse de la touche que dans le soin apporté au rendu du plus infime détail, le curieux d’histoire y entendra les échos des nombreuses révolutions traversées et rapportées par l’artiste, les observateurs les plus distraits se laisseront gagner par l’humour et le brio de ses tableaux comme de ses dessins. Plus que d’autres, Boilly est un peintre qui s’adresse au plus grand nombre, car il n’est pas besoin de mille références pour apprécier son art ; ses mille visages attendent dès aujourd’hui votre visite au Palais des Beaux-Arts de Lille.

exposition louis boilly palais beaux arts lille 04 11 2011
Rétrospective Boilly, Palais des Beaux-Arts de Lille, du 4 novembre 2011 au 6 février 2012.
Jours et heures d’ouverture : le lundi de 14h à 18h, du mercredi au dimanche de 10h à 18h. Informations pratiques disponibles en suivant ce lien.

Accompagnement musical :

Hyacinthe Jadin (1776-1800), Sonate pour pianoforte en ré majeur, opus 5 n°2 (c.1795) :

I. Allegro

II. Andante (en sol majeur)

III. Finale. Presto

Patrick Cohen, pianoforte Christopher Clarke (1986), d’après Walter, c.1800

hyacinthe jadin sonates pour fortepiano opus 4 et 5 patrick
Six sonates pour le forte-piano. 1 CD Valois/Auvidis V 4689. Indisponible.

Illustration complémentaire :

Louis Boilly, Autoportrait, 1819. Pastel et gouache sur papier bleuté, 31 x 24 cm, Boulogne-sur-Mer, Château-Musée.

Je remercie chaleureusement Mathilde Wardavoir, du Palais des Beaux-Arts de Lille, pour son aide technique précieuse.


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