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L'autotraduction, par Jean-René Lassalle [compte-rendu d'un colloque à Perpignan)

Par Florence Trocmé

Autotraduction 

Du 20 au 22 octobre 2011 s’est tenu à l’Université de Perpignan un très intéressant colloque international « Autotraduction : frontières de la langue et de la culture », organisé en partenariat avec l’Université de Barcelone. Le thème est encore peu étudié, comme un cas particulier de la traduction, pourtant il en dépasse les problématiques : le texte-source et le texte-cible du passage de la traduction se comportent-ils de la même manière au cours d’une autotraduction ? L’autotraduction a sans doute été pratiquée de tous temps, mais de manière peu visible, par quelques auteurs voulant s’exprimer dans une deuxième langue. Rainier Grutman, présent au colloque, en a d’abord esquissé les directions dans son article « Self-Translation » de la Routlege Encyclopedia of Translation Studies. Les domaines invoqués sont souvent le cosmopolitisme (auteurs modernes voyageant, changeant de pays et de langue) ou la diglossie (situation socio-géographique où une langue majoritaire et une langue minoritaire se côtoient). Dans le premier cas, les textes jumeaux, en anglais et français, de Samuel Beckett ne sont pas des substituts l’un de l’autre, ils forment deux variantes complémentaires. Dans le second cas, on évoquera l’Italie avec ses dialectes régionaux très vivants : les poètes néo-dialectaux s’y autotraduisent en italien pour élargir leur public. Les communications au colloque étaient variées, et les contributeurs pouvaient s’exprimer en plusieurs langues, ce qui créait une merveilleuse ambiance de Tour de Babel. Muguras Constantinescu a décrit la colère de l’écrivain roumain Panaïs Istrati lisant la mauvaise traduction de son roman en français et décidant de s’autotraduire dans cette langue, finissant par être publié dans une collection de « Prosateurs français » à Paris. Marcos Eymar a dépeint la relation respectueuse du Cubain hispanophone Guillermo Cabrera Infante à sa traductrice anglaise, qui ne l’a pas empêché de retraduire lui-même certains passages pour complexifier son livre en anglais. Francisca Louwagie a montré comment Raymond Federman déconstruisait une langue américaine raciste et désobéissait à une syntaxe cartésienne française dans son texte autotraduit La Voix dans le débarras édité avec les deux langues en tête-bêche. Abdelaziz Gaci a analysé des auteurs algériens, dont Kateb Yacine, admiré par les intellectuels français pour son « nouveau roman » en français Nedjma, et qui préfère retourner à un quasi-anonymat pour écrire et jouer du théâtre en dialecte algérien devant son peuple. Tan-Ying Chou a éclairé les tentatives de la grande écrivaine chinoise Eileen Chang, émigrant en 1953 pour devenir un auteur asio-américain reconnu aux Etats-Unis en s’autotraduisant étrangement par une brume de redondances exotiques. Eva Gentes ouvre d’étonnantes perspectives avec « Traduire une autotraduction » : quelle version doit choisir le traducteur d’une troisième langue ? Doit-il connaître les deux premières langues et traduire les deux ou une seule ? La traduction dans une troisième langue doit-elle contenir un hybride des deux premières langues ? Le texte doit-il être publié dans toutes ses langues ou clairement signaler son statut d’autotraduction ? La table ronde consacrée aux autotraducteurs réunissait Antoni Mari et Francesc Parcerisas (pour le transfert délicat du catalan, interdit sous Franco, à l’espagnol), l’éditeur de Jorn Jean-Claude Forêt (dont un roman fait parler trois personnages différents, chacun dans une variante géographique ou historique de l’occitan), et l’auteur de ces lignes pour son Triling* (qui utilise expérimentalement des processus d’autotraduction en français-anglais-allemand). Christian Lagarde, un des organisateurs du colloque conclut par deux exemples de stratégies d’écrivains en diglossie : Frédéric Mistral qui, poussé par son éditeur avide de reconnaissance parisienne, autotraduit son Mirèio dans un français volontairement bâclé afin de ne pas surpasser sa magnifique version provençale, et Bernardo Atxaga qui autotraduit son livre basque Obabakoak en espagnol et sera traduit dans le monde entier d’après la version espagnole, au regret des nationalistes basques. Je ne peux tout citer, ceci est juste un résumé d’échanges passionnants sur le thème de l’autotraduction. Pour une étude plus en profondeur on attendra la publication des actes du colloque.  
 
Jean-René Lassalle 
 
*Note de Poezibao : sur Triling, voir cette note de lecture et cet extrait 


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