En plus de 15 ans d'existence, "The Main Ingredient" n'a pas pris une ride de vieillerie et continuerait de faire fureur s'il devait ne sortir qu'aujourd'hui. C'est la marque des grands disques, et de manière plus conceptuelle le signe que le jazz et le hip hop sont 2 entités qui sont faites pour s'entendre et pour durer. Entre les mains de Pete Rock et CL Smooth, Cannonball Adderley, Ramsey Lewis, Les McCann, Stan Getz, ou Roy Ayers, voient leur musique revivrent à travers les sampleurs Akai. C'est le son d'une génération qui se fichait des convenances et du formatage. Une génération qui se foutait pas mal de savoir s'il était convenable ou non de s'accaparer la musique des anciens pour en faire des boucles sur 4 mesures, mais qui avait, à travers ces idoles, choisi d'utiliser l'histoire et leur passé pour construire le futur, à leur manière. Ces 2 types-là avaient tout compris. Ils avaient le talent, la fertilité de la jeunesse, la conscience de ce que parler "qualité" signifiait, l'esprit créatif, et surtout ils écoutaient de la bonne musique, ce qui reste l'élément déterminant pour tout DJ ou producteur de hip hop qui se respecte. Ils ont, avec d'autres, fondé les bases du mouvement et produit parmi les meilleurs disques de hip hop américain (les meilleurs disques de hip hop tout court). Celui-ci est le dernier de leur collaboration qui débuta en 1991. C'est un classique, comme tant d'autres albums produits par les américains à cette époque. Pour nous autres petits français encore en âge d'apprendre les rudiments, tout ce qui venait d'outre atlantique était frais. Je me souviens encore d'un soir de 93, lorsque sur l'étagère à cd's d'un ami de mon père dont je devais garder les gosses, je suis tombé sur "Midnight Marauder" de A Tribe Called Quest, avec cette pochette détonante. Un disque comme ça, pareil pour "The Main Ingredient", non seulement à 15 ans il vous retourne le cerveau, mais il vous pousse en plus à tenter de comprendre comment cela est possible; d'où vient cette musique avec cette couleur un peu vieillote et qui, malgré mes a priori d'adolescent inculte et réfractaire à toute idée passéiste de ce que suscite une image en noir et blanc dans mon esprit, rend l'ensemble si efficace. Alors c'est donc ça le jazz? Ou plutôt: c'est aussi ça, le jazz. Ca a certainement été, dans mon cas personnel, un des déclencheurs de mon intérêt pour cette musique. Encore inconsciemment à 15 ans, mais avec le recul, quand je réécoute tous ces disques et que je jette un oeil sur ma discothèque, je me dis qu'il y a forcément de ça. Je suis heureux d'avoir pris le train en marche. Heureux d'avoir été en partie éduqué par ces "grands frères" dont je ne comprenais rien hormis leur musique de cinglés. Enrichi d'avoir découvert leur langage alors que je n'étais qu'un minot des Hauts-de-Seine élevé à "Authentik", dont je connaissais tous les textes par coeur (ayons pitié du pauvre Joey Starr qui vient tout juste de sortir son dernier album..... tragique), ou encore plus ou moins affranchi grâce aux quelques imports que je me procurais chez les disquaires spécialisés de la capitale ou auprès de collègues dealeurs de sons, et en 95 y'en avait de la bonne dope. Ah que c'est bon le hip hop! Acheter l'album