Magazine Cinéma
Théâtre Mélo d’Amélie
4, rue Marie Stuart
75002 Paris
Tel : 01 40 26 11 11
Métro : Etienne Marcel / Les Halles
Une comédie de Clément Naslin et Rémi Viallet
Mise en scène par Xavier Letourneur
Avec Morgane Bontemps (Isabelle), Loïc Legendre (Eric), Clément Naslin (Alain)
L’histoire : Ils ont coché les numéros ensemble, ils ont gagné 30 millions d’euros ! Il devait valider la grille seul, mais il a oublié de le faire… Osera-t-il leur annoncer ? Surtout quand la machine à rêves s’emballe et que certains ont déjà acheté une voiture de luxe, réglé leurs comptes avec leur banquier et insulté leur patron…
Mon avis : Ce n’est pas une pièce, c’est un trampoline ! Niveau rebondissements, c’est une vraie compil’. Difficile d’en caser autant. Il y en a même encore un ultime à la dernière seconde… En tout cas, c’est une foutue prouesse de la part des deux auteurs que d’avoir réussi à développer en une heure et quart un sujet aussi mince et à nous tenir en haleine. Tout au long de cette pièce, on ne cesse de se demander ce qu’ils vont encore sortir de leur chapeau et quels avatars ils vont faire subir à leur fameux bulletin gagnant. Ce foutu bout de papier est finalement le personnage central de ce vaudeville socialo-humain.
Bien sûr que le sujet est rebattu. Mais ça fait plus d’un siècle que l’on chante des chansons d’amour et on continue à en écrire. Ici, c’est l’appât du gain… Gagner un pactole au loto, tout le monde en rêve. Et tout le monde s’imagine ce qu’il ferait avec beaucoup d’argent. Alain, Eric et Isabelle sont comme nous. Ils sont notre reflet. Est-ce que, dans leur situation, on se comporterait de plus noble façon ? Peut-être… Du moins, j’ose l’espérer. Mais comme ici nous sommes dans une comédie, on va y aller à fond. A fonds perdus même ; ou gagnés ?... On n’arrive jamais à le savoir tant ces trois énergumènes ont l’esprit tordu.
Alors que la pièce commence dans la loto-dérision, elle fonce vitesse grand V vers la loto-destruction sans passer par la case loto-censure. Tous les coups sont permis, surtout les plus bas. Ils ne sont pas jolis-jolis ces trois zigotos, mais hélas, ils nous ressemblent. On devrait s’indigner (c’est à la mode), alors qu’on rit.
J’ai beaucoup, aimé les vingt premières minutes. Les deux garçons s’en donnent à cœur joie avec énormément de finesse et de générosité. Le contraste entre eux provoque déjà un effet comique. L’irruption d’Isabelle, très attendue, est à la hauteur de nos espérances… Du moins pendant les premières minutes. Et puis, progressivement, on connaît quelques dérapages. Eric, et surtout Isabelle commencent à en faire un peu trop. On dirait une sorte d’Armelle sur-vitaminée. C’est dommage car elle jouerait un ton en dessous qu’elle n’en serait que plus crédible et, surtout, plus machiavélique, plus redoutable. Pourtant, pour avoir vu auparavant Morgane Bontemps dans deux autres pièces, je la sais capable de jouer tout-à-fait juste. Là, sincèrement, elle en fait des tonnes. Trop ! Du coup ça sonne faux. C’est dommage, car elle a un physique, une présence. C’est un personnage… C’est là mon seul gros bémol.
Loïc Legendre fait son boulot. Il est très à l’aise dans ce genre de rôle même si je l’avais préféré dans le registre plus second degré du Temps du gourdin. Là, il n’y a pas à finasser, il faut y aller plein pot… Quant à Clément Naslin, impeccable de bout en bout, il n’a fait que confirmer tout le bien que je pensais de lui depuis Un conseil très municipal. Avec sa bonne bouille et son sens précis du rythme et de la mimique, il possède une vraie nature comique. J’ai bien aimé sa façon de prendre une voix de fausset lorsqu’il profère un énorme mensonge.
Cette pièce en dents de scie oscille sans cesse entre grosses ficelles et trouvailles ingénieuses, situations exagérées et moments de grâce. Mais surtout, lorsqu’on gratte un peu, on réalise que cette comédie véhicule quelques vérités sur l’âme humaine. En effet, sous l'angle de la farce sont abordés les travers et les turpitudes que l’argent (surtout beaucoup d’argent) entraîne. L’amitié, l’amour, les valeurs de base, le respect de l’autre… tout cela est balayé par l’attrait du fric. S’y substitue la trahison, le mensonge, la vénalité, la lâcheté, le vice. Comme dans un Tex Avery, les trois personnages ont des euros dans la prunelle de leurs yeux. Ça leur fait perdre toute dignité. Cette dimension-là est loin d’être négligeable et elle apporte une plus-value à cette pièce trépidante et somme toute distrayante.