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Akira Yoshimura – Le convoi de l’eau

Par Pikkendorff

Akira Yoshimura – Le convoi de l’eau"Des lambeaux de brumes s’écoulèrent eux aussi dans la couleur des flammes, qui, teintés de rose, dessinaient sans fin des motifs inquiétants."

Akira Yoshimura – Le convoi de l’eau
Après cinq jours de marche en montagne, l’avant-garde du progrès débouche face au Hameau aux maisons disposées en escargot autour d’une construction à haut faitage avec la vue incroyable d’"une étendue de pierres tombales absolument inimaginable.[…] Le regroupement commençait là, pour s’étendre en se bousculant sur tout le coté gauche du torrent, s’étirant vers le sud de la vallée avec la même densité, ses extrémités allant jusqu’à grimper la pente naissante de la montagne". Le Village reste immobile refusant tout contact ; restant à distance du Monde du Progrès représenté par ce groupe d’ouvriers et d’ingénieurs venus pour l’argent. Yoshimura place le narrateur dans une situation ambivalente, entre la Modernité et le Village. Celui-ci confiait d’ailleurs : "pour ainsi dire, je fuyais".

Le récit progresse doucement vers sa fin violente inévitable.  Les premiers travaux miniers fragilisent les maisons.  Comme si malgré le refus du contact direct, cette présence de la modernité avait commencé à miner le Village.  Chaque nouveau coup de boutoir provoque une destruction nouvelle qu’immédiatement le Village répare et consolide sans jamais, au grand jamais, se commettre avec les prémisses de la fin de leur monde. Premier face à face. Sans un mot. D’un geste. Le coupable du viol d’une jeune villageoise est dénoncé. La modernité rit et réclame encore du sexe.  Le Village exécute celle qui a été touchée par le mal.  Pureté et ignominie.

"Ignorant nos destructions brutales, le hameau semblait continuer à conserver une vie terriblement paisible. Sur les terres cultivées on voyait des habitants en train de travailler, et on apercevait aussi dans le lointain les silhouettes des personnes âgées bavardant tranquillement sur le chemin de la forêt."

Le Monde des Marchands vient à la rencontre du Village et fait sa première proposition d’indemnisation, d’un montant très faible évidemment, avec seulement trois jours de réflexion.  Les Marchands de retour eurent la surprise de voir leur ignoble marché accepté sans négociation. 

Comment l’argent-Roi aurait pu penser que négocier, eut été pour le Village, une manière plus certaine de mourir à soi ?

Cinquante pages encore. Cinquante pages de cette poésie de fin d’un monde. Cinquante pages qui en pèsent cinq cents. Cinquante pages offertes pour qu’il y ait toujours quelqu’un pour regarder au-delà de la crasse du monde. Si loin, si près. "Plus tard, vous étiez si près que j’entendais votre silence, comme, à l’orée de la forêt, écoute, seul, le dernier arbre.  Vous regardiez un point du ciel."( Jules Supervielle – Gravitations)

"La procession ne se dirigeait pas vers le monde civilisé, elle s’enfonçait davantage dans les profondeurs de la montagne.  Sur les sommets, la neige arrivait jusqu’à elle, étincelant tout autour.  Elle s’y enfonçait, comme aspirée par la blancheur."

Soulignons la magnifique traduction de ce récit. Du japonais au français, Yutaka Makino a réussi à transposer une poésie que seuls le travail et le talent peuvent expliquer.

Voilà une thématique dans la droite ligne de l’œuvre de Jean Raspail N’écrit-il pas en 1962 dans Les veuves de Santiago sur l’altiplano péruvien : “Le plus arriéré de ces valets avait plus de noblesse dans sa botte que l’homme des villes dans son cœur desséché”.  Lu avant la tenue de ce blog, son livre Qui se souvient des hommesest un choc pour les âmes bien nées.


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