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Ludovic Degroote, La Digue, 1, 2, 3, 4, 5
Ludovic Degroote, La Digue, épisode 6
Les pans disloqués qui dérivent des mots les rassemblent avant de se séparer.
Le temps passe sur les mots, lève en eux comme une répugnance – difficile d’échapper à ce qu’on cherche, ce qu’on ne trouve plus.
on est accablé
on espère une vie médiocre parfois
et puis cette inquiétude de soi qui fait sortir du cadre dans lequel on essaie de se tenir bien
retrouve l’état d’avant que ça bouge
pas possible tant que la respiration remue le corps.
On croit quelque chose, c’est un repère pour nous, on se fixe là-dessus chaque fois qu’on passe, sur la digue ça fait de quoi se retrouver, se reconnaître, se rassembler, et puis peu à peu ça se détache, on en disparaît, ça reste, on passe dessus, à côté, sans apercevoir ce qu’on laisse de vie dedans, on s’émiette, on s’éboule, ça se construit.
Mettre les choses bout à bout, on dit ça sans le savoir, élans de mémoire posés les uns à côté des autres, ce qui lie ne nous appartient pas, c’est le temps qui lie, à force d’être nulle part on s’imagine partout.
On n’est pas pareil tout le temps, on a passé, on ne revient pas, le corps reste toujours en arrière, on ne choisit pas non plus, le temps de les dire, de les écrire, les mots ils bougent, ils durent.
Se répéter ça ne place rien deux fois au même endroit, on ne sait pas toujours ce qui nous pousse à recommencer, comme si on pouvait user un geste, le faire disparaître à force de le répéter, disparaître avec lui, s’effacer, gommer d’un geste chaque fois plus léger les gestes par lesquels on apparaît.
Ça fait comme un bruit en continu dans la tête, plus dur quand on l’oublie, tellement on est dedans, ça revient, le timbre chaque fois décalé, à peine différent, assez pour que ça frappe juste, c’est là que ça fait le plus mal, quand on est seul avec ce bruit, on est toujours seul, quand on est revenu, que tout autour tout s’y heurte.
Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes 1995, (épuisé), pp. 31 à 33
[à suivre : épisode 7 mercredi 9 novembre 2011]