Dans la dernière livraison reçue de la revue trimestrielle Egypte, Afrique & Orient, publiée par le Centre d'égyptologie avignonnais (numéro 63 de septembre, octobre et novembre 2011), Nadine Cherpion, par ailleurs auteure - comme il semblerait maintenant plus correct de l'écrire ! - d'un remarquable ouvrage faisant autorité consacré aux critères de datation stylistiques des mastabas et des hypogées d'Ancien Empire, nous offre un très intéressant article sur La danseuse de Deir el-Médîna et les prétendus "lits clos" du village.
Dans de fulgurants autant qu'osés développements comparatifs avec la peinture d'époques plus proches de la nôtre, l'égyptologue belge convoque de grands artistes provenant de ce qu'il est convenu d'appeler les "Ecoles du Nord", notamment Van Eyck et sa Vierge au chancelier Rolin, Ter Boch et surtout Vermeer et ses jeunes femmes jouant du virginal, pour brillamment étayer sa flamboyante démonstration concernant le décodage des symboles érotiques ou sexuels qui font florès, vous ne l'ignorez plus, je l'espère, amis lecteurs, dans l'art de l'Egypte antique.
Loin de moi la prétention, dans le droit fil de nos quatre derniers rendez-vous précédant le congé de Toussaint, d'ici développer les thèses en général extrêmement pertinentes avancées par Madame Cherpion. En revanche, j'aimerais vous faire part de quelques assertions émaillant son travail à propos de ce que, bizarrement, alors qu'elle connaît parfaitement l'étude de l'égyptologue allemande Ingrid Wallert à laquelle, les 18 et 22 octobre, j'ai largement fait allusion, elle appelle toujours "cuiller à fard".
Répondant avec une extrême gentillesse et une grande célérité à un mail que je lui avais adressé à ce sujet précis, Madame Cherpion m'écrivit - ce que je suppute depuis un certain temps être un avis unanime :
Il n'y a aucune malice de ma part à avoir utilisé l'expression "cuiller à fard", c'est plutôt par habitude que j'ai agi ainsi, et parce que tout le monde comprend de quoi on parle quand on utilise cette expression ; disons qu'il vaudrait sans doute mieux la mettre entre guillemets.
(C'est moi qui souligne).
Et d'ajouter, confirmant ce que j'avançai dans mes précédentes interventions :
Je crois volontiers qu'il ne s'agit pas d'objets de toilette utilisés dans la vie
quotidienne, mais d'objets essentiellement funéraires (...)
La cuiller dite "à la nageuse" qui, parmi d'autres monuments égyptiens, a retenu son attention dans l'article précité appartient actuellement au Musée Pouchkine de Moscou et porte le numéro d'inventaire I. 1a 3627.
En ivoire peint et en ébène, d'une longueur de 19, 5 cm, elle présente la particularité, outre de soutenir une fleur de lotus en guise de cuilleron muni d'un couvercle, d'exhiber sur chaque jambe un tatouage du nain Bès, favori d'Hathor, que j'ai brièvement mentionné lors de notre entretien du 25 octobre dernier.
Aux fins de mieux encore étayer ses propos, Nadine Cherpion attire judicieusement l'attention sur le fait que la jeune femme porte un collier, une ceinture de hanches et une perruque-boule.
Mais au fait, vous demandez-vous certainement : quels sont ses propos ici évoqués ? Et quelle doit être l'importance de la raison pour laquelle, alors qu'il était prévu aujourd'hui de rentrer au Louvre pour nous intéresser aux peintures de Metchetchi exposées dans la seconde vitrine 4 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes, Richard décide tout de go de bouleverser ses plans et nous propose cet addenda en forme de recension d'article de revue égyptologique ?
A la page 303 du catalogue de l'exposition dédiée à Aménophis III, le Pharaon-Soleil qui s'est tenue aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, au printemps 1993, - et duquel j'ai pris la liberté d'extraire le cliché ci-avant -, Arielle P. Kozloff, Conservatrice au Cleveland Museum of Art, analyse également cette "nageuse au lotus" et, comme pour toutes les autres cuillers d'offrandes de ce type iconographique précis, propose d'y voir une figuration de la déesse-mère Nout, personnification de la voûte céleste, évoluant sur les eaux éternelles, comme je vous l'avais expliqué lors de notre pénultième rendez-vous.
C'est entre autres sur ce point qu'intervient Madame Cherpion, refusant d'accréditer la
thèse de sa consoeur américaine sous prétexte qu'en égyptologie, on a souvent tendance à voir des références au sacré un peu partout, mais c'est sans doute une attitude à éviter. (Note
35, p. 70)
Et pour sa part donc, elle préfère plutôt comprendre cette figuration féminine, à cause de la nudité, du tatouage, du style de la perruque et des bijoux présents, comme étant celle d'une prostituée, entérinant de la sorte l'impression qui était déjà celle de l'égyptologue française Madame Jeanne Vandier d'Abbadie en 1938 ; impression qui devint vérité première chez maints autres savants par la suite.
Et d'affirmer, p. 58 : Je crois, moi aussi, que les dames dont la cuisse est tatouée à l'effigie du dieu Bès sont bien des dames aux moeurs dévergondées et libertines.
Pour elle, à l'encontre à nouveau de ce qu'avance une autre de ses collègues, l'égyptologue belge Marie-Cécile Bruwier, dans le catalogue de l'exposition Beautés d'Egypte que l'on a pu voir au Musée du Malgré-Tout, à Treignes, en 2002, les femmes égyptiennes ne furent jamais représentées nues, sauf si elles désiraient que l'on sache qu'elles étaient disposées à se donner à leur mari, à un amant ou à un client.
Je prends bonne note de cette intéressante interprétation.
Tout comme Jean-Pierre, j'espère ...
Et vous, amis lecteurs ? Comment vous positionnez-vous sur ce point précis : certaines de ces jeunes beautés ornant les manches des cuillers sont-elles à vos yeux des femmes aux moeurs légères, des filles de joie, comme l'écrit en toutes lettres Madame Cherpion dans son article ou personnifient-elles la déesse Nout, ainsi que l'affirme Arielle P. Kozloff ?
A vos claviers ! Le débat est lancé ...