Un des rares endroits qui semble s’en sortir plutôt avec dignité et justice (mais non sans critiques, en particulier sur l’origine de la propriété du bâtiment) est le Museum on the Seam (c’est-à-dire sur l’ancienne ligne verte, frontière officielle reconnue entre Israël et la Palestine) tout près de la Vieille Ville de Jérusalem. Financé par des
mécènes allemands, dirigé par l’intellectuel anti-occupation Raphie Etgar, il se définit comme un musée sociopolitique, mais est sans aucun doute le meilleur endroit à Jérusalem où voir de l’art contemporain international (alors que le Musée d’Israël privilégie une approche très nationale) et à peu près le seul où artistes israéliens juifs, artistes arabes et artistes occidentaux voient leurs œuvres se confronter. Outre son exposition itinérante
Coexistence au logo symbolique (ci-dessus), le Musée présente des expositions thématiques, sur
la peur de l’autre ou sur
l’écologie, par exemple.
L’exposition en cours, Westend, poursuit le même discours, tenter de comprendre la lutte, la tension entre deux mondes, ouvrir un débat plutôt que fournir des certitudes. C’est peut-être le seul endroit en Israël où on parle du printemps arabe… Dès l’entrée du Musée, on se confronte d’abord à des photographies de l’Israélien
Miki Kratsman, photos de combattants palestiniens et, plus loin, de Bédouins chassés de chez eux ; ces photos pixellisées, reprises de journaux dans lesquels elles sont parues, constituent à la fois un témoignage photo-journalistique, un signe d’engagement (Kratsman est un des fondateurs de
Breaking the Silence, des Justes s'il en est dans ce pays) et une réflexion esthétique et politique sur le médium photographique, sur la manière dont l’artiste se le réapproprie après sa publication dans un quotidien ; dans la même lignée, Kratsman vient d’ailleurs de lancer ce
projet sur Facebook, pour identifier des 'martyrs'.
Le Slovaque
Robert Kunec présente un
Suicide Bomber en morceaux, non pas du fait de sa bombe, mais parce qu’il est à construire, en pièces détachées, comme un jouet d’enfant vendu en grande surface : il n’est plus glorifié, mais banalisé, il n’est plus un héros mais un simple produit, il n’est plus éternel, mais fragile, voué à la disparition peut-être.
A côté, les minarets de mosquée du Suisse
Christian Philipp Müller sont autant des fusées ou des phallus que des monuments d’un blanc étincelant : symbole ambigu que chacun lit à sa manière, lien entre religion, pouvoir et machisme sans doute, mais aussi déconstruction ironique de ces codes (
Launch Vehicles).
Si la pièce du Russe Andrei Molodkin, YES écrit Ɏ€$ et rempli de pétrole, est un peu simpliste, les 'radiographies' du Saoudien Ahmed Mater (Including Evolution of Man) où l’homme portant un pistolet à sa tempe se transforme en pompe à essence (ou vice versa selon le sens dans lequel on les lit), sont porteuses d’un message plus fort, plus complexe et plus universel (en haut).
On peut voir la Coréenne
Kimsooja, nomade éternelle drapée dans son voile coloré (
Encounter - Looking into Sewing) derrière les
Tours d’amour de l’Egyptien
Moataz Nasr, chacune pour une religion (de Nasr, aussi, sa carte d’Iraq en allumettes, signe de catastrophe).
Le Franco-Marocain Mounir Fatmi
(qui s’est fait
critiquer pour sa participation à cette exposition, et a été
fort bien défendu) montre une grande projection vidéo où se déclinent les Temps Modernes de Chaplin, repris dans des arabesques calligraphiques qui l’orientalisent (
Modern Times : a History of the Machine). Dans un registre similaire, l’Irako-Finlandais
Adel Abidin s’appuie sur la rumeur de la dissimulation dans le sigle
Coca-Cola retourné, d’un message anti-islamique « Not Mohammad ! Not Mecca ! » : le sigle pourrait donc servir de propagande
sur deux registres, commercial et politico-religieux. Mais c'est peut-être au contraire un toast, un salut : "
To Mohammad ! To Mecca !" Parmi les autres artistes présents, pour donner une idée de la richesse de cette exposition, citons aussi Martha Rosler, Thomas Hirschhorn, Gilbert & George et Jota Castro, entre autres.
Alors, qu’en penser ? Est-ce une récupération de la part de l’occupant, ou est-ce une manifestation de bonne volonté ? Toujours optimiste, je pencherais pour la deuxième réponse, quitte à me faire encore traiter de naïf.
Photo 6 de l'auteur. Mounir Fatmi étant représenté par l'ADAGP, la photo de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin de l'exposition.