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Par Placebo
Soit la boucle suivante : je souscrit sur Internet à un abonnement à la chronique quotidienne de Philippe Meyer, mise en ligne par France Culture, la citation, le 4 novembre, par celui-ci d'un large extrait d'une des Chroniques de la Montagne d'Alexandre Vialatte sur le roman d'aujourd'hui, dans le volume 2 desquelles je retrouve le texte (chronique n° 451), dont, à mon tour, je cite quelques passages afin que vous, lecteurs, puissiez en savourer le sel grâce à ... Internet.
« On a tout essayé pour trouver du nouveau : le roman sans histoire, le roman sans personnage, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu qu'à créer le roman sans lecteur. C'est un genre connu depuis longtemps ! »
On sait, par parenthèse, que ce genre se vend beaucoup. On achète, certes, mais lit-on ?
« Je ne dis pas de mal du roman sans lecteur, il procure à l'auteur le sentiment d'avoir enfin éliminé l'impur profiteur de son œuvre : les mouches ne viennent plus sur son miel. Il s'est isolé dans son île. »
Pourtant, on sait aussi combien et comment on en parle, dans les gazettes et sur les ondes, de ces romans. Je vous renvoie là-dessus à l'essai salvateur de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus.
« D'autres y parviennent en faisant ennuyeux comme la vie; du moins la leur [...] . Ayant choisi pour personnage central un être terne, sans grammaire, sans courage, sans humour, sans soif, sans appétit, qui aurait fait plaisir à Pascal sans faire plaisir à Gargantua, ils lui font mener une existence larvaire qu'il passe à s'attendre lui-même dans une espèce de vestibule grisâtre jusqu'à la fin du dernier chapitre où l'on apprend que, tout bien vu, il ne viendra pas. (C'est ce qui soulage : on en avait supporté un pendant trois cents pages, en aurait-on supporté deux ?) Ce qui surprend le lecteur naïf c'est la haute considération dont l'auteur, tout du long, entoure ce personnage [...]. C'est que l'auteur s'est pris pour modèle. Son personnage lui ressemble comme un frère. »
Vialatte commet ici une erreur :ce roman ne comporte généralement pas plus de chapitre que de paragraphes. Ni, pour le plus audacieux, de ponctuation.
« Il s'agissait de décourager le lecteur facile. Tous ne le sont pas. J'en connais un qui n'admet que deux auteurs : un Grec dont l'unique manuscrit a disparu en 640 dans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, et un Persan du Ier siècle qu'on n'a connu que par ouï-dire, à la faveur d'indiscrétions. »
Voici à peu près les prédilections que certains de mes proches plus ou moins distants me prêtent -- on ne prête qu'au riches.
« Quand au français, il estime en gros qu'on ne sait plus le parler depuis 1684; juillet 1684; d'autres disent juin, il consent juillet; ce qui a suivi n'est plus que charabia. Pour des lecteurs si difficiles il faut tout de même qu'on écrive des livres; je connais une crémière du XVe qui prépare un roman qu'on peut lire à l'envers.
Toutes ces formules sont sans avenir; si distingué qu'on soit on se fatigue de l'ennui, de l'absence de talent et des romans de crémière. Je n'en dirai pas autant pour le roman sans texte. " L'avenir, vient de dire un éditeur célèbre, l'avenir est au papier blanc. " »
C'était le 24 octobre 1961. Et de conclure cette chronique, comme chacune de celles-ci, d'un impossible : « Et c'est ainsi qu'Allah est grand. »
Alexandre VIALATTE, Chroniques de la Montagne, Vol. 1 (1952-1961) et Vol. 2 (1962-1971), Bouquins, Paris, 2000.

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