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Frankenstein ou Le Prométhée moderne

Par Anne Onyme

frankensteinMary Shelley
Folio SF
309 pages

Résumé:

" C'est alors que dans la lumière pâle de la lune tamisée par les persiennes, je contemplai le pauvre hère - le misérable monstre - que j'avais créé. Il avait soulevé le rideau de mon lit et ses yeux, s'il est permis de parler d'yeux, étaient fixés sur moi. Ses mâchoires s'ouvrirent et il proféra des sons inarticulés, tandis qu'un rictus déformait ses joues. Peut-être parla-t-il, mais je ne l'entendis pas. Il avait avancé une main, sans doute pour me retenir, mais je m'étais déjà enfui et je dévalais les escaliers. Je me réfugiai dans la cour de ma maison et j'y restai jusqu'au matin... J'écoutais de tout mon être, redoutant au moindre son de voir s'avancer le cadavre démoniaque auquel j'avais si misérablement donné la vie. "

Mon commentaire:

Frankenstein ou Le Prométhé moderne a été publié en 1818. Mary Shelley n'avait que 21 ans. On considère bien souvent cette fiction comme le premier roman de science-fiction. Dans la mythologie grecque, Prométhé créa les hommes à partir d'eau et de terre. C'est aussi le symbole de l'intelligence, de la création et de la science, la recherche de toute vérité. C'est en quelque sorte ce que recherche Victor Frankenstein, un jeune aspirant à la médecine qui s'intéresse fortement à la vie et à la mort.

On a l'impression de bien connaître Frankenstein tellement ce personnage, ou plutôt sa créature, est passée dans l'imaginaire collectif. Car Frankenstein c'est le nom du créateur et non du monstre à qui il donnera la vie. La créature n'a pas de nom. Elle n'est "rien". Pourtant, elle prend de plus en plus de place dans la vie de Victor.
Si l'on s'attarde au roman, on réalise qu'il s'agit d'un petit chef-d'oeuvre gothique qu'on ne connaissait finalement pas tant que ça. Ayant lu ce superbe roman il y a au moins quinze ans, j'en avais gardé un très bon souvenir. Une amie m'a proposé une lecture commune pour novembre, mois des morts, autour de Frankenstein. Je me suis donc empressée d'accepter, afin de revisiter ce roman qui m'avait tant marquée à l'époque.

L'histoire s'ouvre d'abord sur quatre lettres du Capitaine Walton à sa soeur. Ce capitaine raconte dans ses missives son expédition vers les pôles. C'est là qu'il rencontrera Victor Frankenstein, arrivé comme une apparition sur la surface enneigée, alors que le bateau est coincé dans les glaces. Walton accueille cet homme comme un ami et Frankenstein lui fait le récit de son incroyable histoire.

Il débute par son enfance et le statut de sa famille. Frankenstein est un enfant ayant une grande soif de connaissances. Il découvre les sciences et entreprend de sérieuses études. Partit au loin, son destin est déjà tracé. Il doit revenir chez lui après ses études et épouser Elizabeth, une orpheline que la famille Frankenstein a recueillie alors qu'elle était enfant. Toutefois, pendant ses études, Victor est rapidement passionné par la cause de la vie et de la mort et entreprend une funèbre expérience. C'est son ardent désir d'accomplir quelque chose de remarquable qui fait de lui un savant fou. Il en vient à perdre son âme et sa sensibilité.

Son objectif est terrifiant: réussir à animer un corps inerte, sans vie. Effrayé par ses propres capacités et par son travail, la maladie s'acharne rapidement sur lui et il devient un tout autre homme. Tiraillé entre sa créature et le monde auquel il aspire, il tente de passer outre ce qu'il a réalisé et décide de rentrer pour de bon chez lui, mener une petite vie tranquille près de sa famille et de celle qui deviendra sa femme. Le jour où l'on retrouve le corps sans vie de son petit frère et que Victor aperçoit sa créature rôder dans les parages, il réalise toute l'ampleur de sa création et de la responsabilité que cela comporte.

L'atmosphère de ce roman gothique est très particulière. Par moment, les différents chapitres sont très sombres. Même la nature, désolée, s'accorde à l'état d'esprit des personnages. Si Victor Frankenstein est terrifié et rongé par la culpabilité d'avoir créé un être aussi ignoble, sa créature découvre le monde et fait l'apprentissage du genre humain. Cette créature qui n'a pas de nom se questionne sur ce qu'elle est. Elle découvre la notion d'existence. Elle prend aussi conscience de sa solitude, de son statut de monstre. Un monstre dont personne ne veut. On constate alors que ce n'est pas sa condition particulièrement repoussante qui fait de lui un monstre, mais plutôt le rejet dont il est victime qui finit par le conduire à la vengeance et à la violence.

Cette édition comprend deux préfaces écrites par Mary Shelley. La première, en 1831, nous parle de sa démarche d'écriture et du cadre dans lequel ce roman a été écrit. En 1816, alors que Mary séjournait près de Genève avec Percy B. Shelley, Lord Byron et John William Polidori, elle surprend une conversation sur le galvanisme, idée courante à l'époque victorienne adoptée par nombre scientifiques qui croyaient qu'en injectant une dose précise d'électricité dans le cerveau, un mort reviendrait à la vie. L'idée germe tranquillement dans son esprit et c'est lorsque quelqu'un propose d'écrire des histoires de fantômes pour se distraire, que Mary Shelley rendra à terme son idée dans un roman qui a su traverser les époques. Étonnament, c'est la seule oeuvre aboutie de ce défi d'écriture... La seconde préface contient des propos et des considérations sur ce que Mary Shelley véhicule dans son oeuvre. Ces deux préfaces, quoique courtes, sont bien intéressantes.

Si vous pensez connaître déjà tout de Frankenstein avant de lire le roman, détrompez-vous. Frankenstein est beaucoup plus qu'un roman mettant en scène un monstre. C'est aussi un roman qui démontre le danger de jouer avec la nature et qui n'est, ma foi, pas si loin de ce que certains savants fous tentent aujourd'hui de faire avec les manipulations génétiques. Frankenstein est un roman gothique empreint de romantisme, qui mérite d'être lu. Un classique qui va bien au-delà de l'image monstrueuse que l'on se fait de la créature inventée par Victor Frankenstein...

À lire.

Un extrait:

"Les ténèbres étaient sans effet sur mon imagination; un cimetière n'était pour moi que le réceptacle de corps privés de vie qui, après avoir été le siège de la beauté et de la force étaient devenus la nourriture des vers. Et voici que j'étais amené à étudier la cause et l'évolution de cette dégradation et contraint à passer des jours et des nuits dans des caveaux et des charniers. Mon attention se concentrait sur les objets les plus insupportables à la délicatesse des sentiments humains. J'assitais à chacune des phases de la dégradation de la superbe forme de l'homme; je voyais la corruption de la mort succéder à la fraîcheur de la vie; j'observais les vers s'insinuer jusque dans les merveilles de l'oeil et du cerveau. Je m'interrompais, examinant et analysant les moindres détails de la relation entre la cause et l'effet, tels qu'illustrés par le passage de la vie à la mort, et de la mort à la vie. Puis, soudain, au milieu de ces ténèbres surgit une lumière si brillante, si merveilleuse, et pourtant si simple, que bien que pris de vertige face à l'immensité de la perspective qu'elle offrait, je m'étonnai d'être le seul, parmi tant d'hommes de génie qui avaient consacré leurs efforts à la même science, à découvrir un secret aussi sidérant." p.75

En complément:

Mon billet sur l'adaptation de 1994, Frankenstein d'après Mary Shelley.


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