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[Feuilleton] : La Digue, de Ludovic Degroote/9

Par Florence Trocmé

Sur le principe du feuilleton, voir ici 
 
Ludovic Degroote, La Digue, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
 

Ludovic Degroote, La Digue, épisode 9 

La langue crache les images d’un coup 
on ne voit pas ce qui est dedans 
les images où elles sont on n’en sait rien 
la langue seule a le courage de les vomir. 
 
 
 
 
L’air va, gonflé de vie, s’étouffant sur le vide – peu de choses affermies, ça coule, tout part en boue – le temps, lui, s’est manqué. 
 
 
 
 
Dans l’attente, on n’a pas forcément de place, on finira bien par en obtenir une, on la paiera au soleil face à la mer, en attendant, on bouge si peu qu’on semble arrêté, le long de la mer, avec dans le dos un soleil encore traître, et qui varie. 
 
 
 
 
En dérive, les choses glissent moins vite que nous, elles paraissent se fixer, surtout pour nous qui demeurons si peu de temps, et qui le consacrons à descendre ; la pluie faible qui nous fait apparaître est à peine plus oblique que le corps qu’elle franchit. 
 
 
 
 
À côté partout, on est plus près de soi par moments, c’est calme, il n’y a pas de bruit, on n’entend rien, les yeux sont fermés, la bouche aussi, on est bien. 
 
 
 
 
Ce qui nous rend gros peut-être c’est peu de chose, ni même ce qui fait grossir qui ne donne qu’un peu en apparence ; on va en dérive, c’est déchirant, on se sépare, on est là, chacun à côté, au bout au fond sans doute on espère se rassembler. 
 
 
 
 
On passe à côté, on n’atteint pas, c’est comme ça qu’on touche les choses, les yeux à l’intérieur ne voient plus, embrasser le vide n’a plus de sens, il fait noir dedans, c’est une autre lumière, et qui n’éclaire pas, on se perd : on n’est jamais habitué. 
 
 
 
 
Ça commence par le silence, les choses se passent de nous qui dérivons autour, on se rassemble, on se quitte, le vent du soir porte plus loin, on croit que ça prend d’abord le côté, en fait ça vise toujours le cœur, ça traverse le cœur, tout s’en va ensuite dans le silence. 
 
 
 
 
On voit tout de l’intérieur, de l’intérieur tout est faussé, on voit mieux, pas le temps de s’arrêter sur rien, ni sur cet arbre dont le feuillage, ni sur la mer dont les teintes, ni sur les falaises dont le mouvement, le temps qui passe arrête le regard, ça fait des émotions, quand on s’arrête on perd le sens du contact. 
 
 
 
 
C’est toujours mieux avant, c’est pour ça qu’on repart, l’espoir de revenir, on essaie de tenir le dos face au cap – les images qui troublent on est mieux rien dans la tête, c’est quand ça rompt qu’on peut s’accrocher, pas de prise sinon, on tâche de se répéter, c’est déjà ça. 
 
 
Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes 1995, (épuisé), pp. 45 à 48 
 
[à suivre : épisode 10 mercredi 16 novembre 2011] 


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