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Le TEA Party, un « game changer » ?

Publié le 14 novembre 2011 par Delits

Alors qu’à l’hiver dernier, la reconduction de M. Obama à la Maison Blanche semblait acquise, un été difficile et une primaire républicaine médiatisée ont changé la donne. Il reste à peine une année avant l’élection présidentielle et les raisons d’espérer dans le camp républicain sont réelles. Pour autant, la tâche ne sera pas aisée pour un parti éclaté après une fin de campagne difficile en 2008.

Cette année-là, à la fin de la campagne perdue par John McCain, Sarah Palin, vice-présidente sur le ticket républicain, a commencé à faire une campagne déconnectée de celle de son colistier. Sarah Palin « is going rogue » affirmaient alors les cadres du parti Républicain. Cette campagne solo de la « Hockey Mom », très populaire à l’époque, s’est traduite par des propos l’identifiant à l’américain moyen dont elle prétend défendre le bon sens et les intérêts face à la technocratie de Washington et de son propre parti. Elle est par la suite devenue l’égérie du Tea party, mouvement qui se veut transversal dans le paysage politique américain, mais qui prend ses racines essentiellement dans le parti républicain (seuls 8% de Démocrates sont favorables au mouvement). Ce mouvement, qui a mené quelques campagnes victorieuses dans le cadre des élections de mi-mandat de 2010, pose problème pour l’establishment du Parti au vu de positions parfois dissidentes et considérées comme extrêmes par un grand nombre d’Américains. On comprend donc que l’unification du parti représente un enjeu de taille pour le candidat républicain, afin de gagner d’abord la primaire puis l’élection générale.

Les enjeux du parti républicain : l’unité

L’orientation que va choisir le camp républicain pour réunir un parti divisé est l’un des intérêts majeurs de la campagne de 2012. D’un côté, les cadres du parti menés par les membres du Congrès sont les gardiens de l’héritage laissé par Ronald Reagan et les présidents Bush père et fils. De l’autre, le TEA Party, sans leader unique, mais avec quelques égéries à l’instar de Michelle Bachmann, veut bousculer les lignes politiques traditionnelles et l’establishment considéré comme trop technocrate et distant des préoccupations des Américains moyens. Dans les faits, cette confrontation se traduit par des divergences fortes sur certaines positions politiques.

L’idée première du TEA Party est de lutter contre les technocrates de Washington qui imposeraient aux citoyens des mesures jugées arbitraires, voire menaçantes pour les Américains (57% des membres du TEA Party jugent le gouvernement fédéral menaçant, Ifop, mai 2011). Il n’est pas anodin que l’expression TEA Party renvoie à un évènement fondateur de la société américaine, dans sa lutte contre les décisions arbitraires du Royaume britannique. Il n’est pas anodin non plus que le terme TEA reprenne les initiales de l’expression « Taxed Enough Already » (« déjà suffisamment taxés »). Le TEA Party rejette les décisions fédérales concernant des hausses d’impôts mais également les grandes entreprises (le « Big Business ») qui joueraient avec l’argent des citoyens de façon irresponsable.

Ces positions ne sont à l’origine pas forcément très éloignées de celles du parti républicain. Ronald Reagan n’avait-il pas déclaré : « Le gouvernement c’est comme un bébé, un tube digestif avec un gros appétit à une extrémité et aucun sens des responsabilités à l’autre. » ? Néanmoins, les points de vue du TEA Party sont souvent plus intransigeants voire extrêmes que les positions traditionnelles du parti républicain. Quand le relèvement du plafond de la dette a été négocié en juillet dernier, le TEA Party y était franchement opposé (malgré l’avis de certains républicains qui auraient accepté un plan moins drastique), focalisant les critiques du parti démocrate et bloquant les négociations. Il a fallu un plan d’économies gouvernementales de 1500 milliards de dollars sur 10 ans et aucune augmentation d’impôts (position démocrate initiale) pour que cette mesure soit finalement acceptée.

Le TEA Party, un mouvement déterminant

Le TEA Party tient son importance de sa forte politisation. 87% de ses membres sont inscrits sur les registres électoraux contre 76% des Américains. Ceci s’est traduit, dans les élections de mi-mandat, par 138 membres du Congrès élus avec le soutien du TEA Party. Il faudra donc compter sur ce mouvement pour le choix du candidat républicain. Pour autant, faire campagne en ne misant que sur ce mouvement serait sans doute suicidaire pour le candidat républicain :

- Le TEA Party reste en effet un mouvement minoritaire aux Etats-Unis. En mai 2011, 22% des Américains se disaient en accord avec lui tandis que 29% le contestaient et 49% n’avaient pas d’opinion (ou ne souhaitaient pas en parler).

- Le TEA Party est par ailleurs fortement représenté dans les Etats du Midwest (29% des membres du TEA Party y résident contre 19,5% de la population américaine) et dans l’Ouest (26,3% vs 21,5%). Ces Etats sont essentiellement des Etats acquis au parti républicain (hormis le Nevada, le Nouveau Mexique et le Colorado, Swing States qui élisent un nombre relativement faible de grands électeurs). Or, pour remporter l’élection présidentielle, il faut gagner dans les Swing States.

Le TEA Party a donc bien voix au chapitre dans l’élection du candidat républicain, mais son caractère minoritaire dans le paysage américain le rend insuffisant pour conquérir la Maison Blanche.

Quelle égérie pour le TEA Party ?

On peut d’ores et déjà noter que le TEA Party est présent dans la primaire républicaine. Dans les faits, quatre candidats ont successivement été désignés comme favori pour l’élection présidentielle. Michelle Bachman, Mitt Romney, Rick Perry et Herman Cain. De ces quatre candidats, Mitt Romney, s’est détaché par sa longévité en tant que favori, les trois autres se succédant à cette position.

Les intentions de vote des Républicains en faveur de M. Romney oscillent entre 16% et 22% (21% en novembre 2011). C’est un candidat régulier depuis le mois de mars et connu des électeurs – il s’était déjà présenté à la primaire républicaine face à John McCain en 2008-. Néanmoins, Mitt Romney est difficile à soutenir pour le TEA Party pour trois raisons :

- Mitt Romney est très proche de l’establishment du parti républicain et est perçu comme le candidat des technocrates par la base du parti.

- M. Romney est mormon. Or, les membres du TEA Party sont largement protestants ou évangéliques (44% vs 29% dans la population américaine, Gallup, avril 2011) et voient d’un mauvais œil les autres religions (en particulier l’Islam que 67% de ses membres considèrent comme encourageant la violence). Ainsi, l’attaque d’un pasteur évangélique proche de Rick Perry (M. Jeffress) à l’encontre de Mitt Romney, considéré comme un mauvais chrétien, peut influencer les membres du TEA Party et les inciter à ne pas voter pour ce candidat.

- M. Romney a instauré dans le Massachussetts, Etat dont il a été gouverneur, une forme de sécurité sociale obligatoire, alors que 87% des membres du TEA Party jugent négativement le système de sécurité sociale fédéral (avril 2010).

Mitt Romney reste un des favoris à la primaire républicaine, mais il devra faire avec un soutien faible du TEA Party (19% actuellement avec toutefois une tendance croissante). Il ne pourra donc que peu compter sur le report des voix des adversaires qui se désisteront. Il est, à ce stade, un candidat par défaut qui ne suscite pas une forte adhésion populaire ; il n’a pour l’instant pas su créer de momentum (cumul d’enthousiasme et de masse avec effet boule de neige qui permet de recruter de nouveaux partisans) et si les gens le soutiennent, peu affirment le faire avec engouement (16% contre 28% pour le candidat Cain, Gallup, novembre 2011).

Michelle Bachmann, Rick Perry et Herman Cain se sont eux succédés en tant que favori à la primaire républicaine. Il est intéressant, en observant les évolutions des intentions de vote à cette primaire, de constater qu’il y a eu un jeu de vases communicants des électeurs. Ils se sont d’abord portés sur la candidature de Michelle Bachmann puis, sur celle de Rick Perry pendant que Michelle Bachmann chutait dans les sondages, puis de Rick Perry vers Herman Cain. Ces trois candidats ont une autre particularité commune : ils bénéficient du soutien du TEA Party et se sont également succédés en tant que favori de ce mouvement. Michelle Bachmann a été une des égéries du TEA Party dans l’élection de mi-mandat en 2010, Rick Perry bénéficiait fin août 2011 d’un soutien de 35% du mouvement et Herman Cain était plébiscité en octobre 2011 par 24% des membres du Party. Si Rick Perry était considéré comme le candidat « moral » par les Républicains (38% des Républicains le voyaient comme le candidat le plus moral au 26 août 2011), valeur essentielle d’un TEA Party très pratiquant, les accusations d’agressions sexuelles portées contre le candidat Cain pourraient être fatales à ce dernier. L’enthousiasme perçu autour de la campagne d’Herman Cain a déjà diminué de 9 points, passant de 34 à 25 points (nombre de personnes très favorables à la candidature de M. Cain moins ceux qui sont opposés à sa candidature, Gallup, novembre 2011) On comprend, au regard de ces évolutions, que les membres du TEA Party peuvent être faiseurs de roi dans cette campagne et qu’ils cherchent une alternative crédible et enthousiasmante face à Mitt Romney.

Une fois la primaire gagnée, réunir le pays

Le problème pour le TEA Party est qu’aucun de ces candidats ne semble en mesure de remporter la présidentielle face à Barack Obama. Le seul candidat donné au coude à coude avec lui est Mitt Romney, avec 8 sondages sur les 30 derniers réalisés le donnant vainqueur. Face au Président sortant, aussi bien Rick Perry qu’Herman Cain sont donnés perdants par 5 à 10 points d’écart (en terme de vote populaire). Cela semble logique : une campagne américaine se gagne le plus souvent auprès des Indépendants, forme de Centre entre les Républicains et les Démocrates. Si 60% des Américains sont sympathisants d’un parti, qu’il soit démocrate (32%) ou républicain (28%), 40% des Américains se disent Indépendants. Les positions extrêmes, voire populistes du TEA Party pourraient aliéner tant une fraction des Indépendants, qu’un certain nombre de Républicains. En 2008, les positions prises par Sarah Palin sur les relations avec la Russie, sur la race ou sur l’économie, avaient déjà participé à la victoire finale de Barack Obama, suscitant un rejet des Indépendants. Aujourd’hui encore, les électeurs indépendants voient d’un mauvais œil le TEA Party (43%).

Ainsi, les positions simplistes de certains candidats républicains, pendant une primaire où le TEA Party joue un rôle important, pourraient leur nuire lors de l’élection présidentielle. La comparaison du système de sécurité sociale à une pyramide de Ponzi par Rick Perry, le modèle économique « 9-9-9 » proposé par Herman Cain (9% de taxes sur les revenus des particuliers, 9% sur les sociétés et 9% sur les ventes), la non-assistance aux malades qui n’ont pas souscrit à une sécurité sociale privée (Ron Paul) sont autant de propositions qui pourraient se retourner contre leurs auteurs.

Le TEA Party est un mouvement mal maîtrisé, mais suffisamment important pour influer sur la nomination du candidat du parti. Celui qui sera sélectionné par le GOP (Grand Old Party) devra être capable de faire le grand écart entre cette base populaire et les électeurs indépendants, en vue de la victoire. Si Mitt Romney est favori – les Républicains s’attendent à le voir gagner la primaire (45%, Gallup, 2011) – il ne pourra pas s’exonérer de faire campagne auprès du TEA Party pour être sûr que ses membres se rendront bien aux urnes lors de l’élection générale face à M. Obama.

Réunir Indépendants et TEA Party est sans doute le plus grand challenge que rencontrera le candidat républicain, car les difficultés économiques que traversent les Etats-Unis rendent la demande d’alternance particulièrement forte : à ce stade, les Américains privilégieraient une alternance républicaine plutôt que la réélection de Barack Obama (46% en faveur d’un candidat républicain contre 42% en faveur d’Obama, Gallup).


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