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L'Administration doit-elle présenter des excuses ?

Publié le 14 novembre 2011 par Arnaudgossement

assemblee-nationale.jpgVoici une proposition de loi surprenante. Plusieurs députés de la majorité viennent en effet de déposer une proposition de loi "visant à permettre à l’usager de bonne foi de recevoir des excuses de l’administration qui reconnaît son erreur". Analyse.


M Daniel Fasquelle et plusieurs de ses collègues députés vennent de déposer une proposition de loi composée d'un article unique, lequel prévoit :

"L’administration ayant engagé à tort des actions à l’encontre d’usagers de bonne foi, doit reconnaître son erreur et adresser ses excuses. Il en est de même à l’égard des tiers impliqués à tort".

A première lecture, la proposition semble généreuse : l'usager "victime" de l'administration a droit à des excuses dans une république courtoise et civilisée?

A deuxième lecture, cette proposition de loi, qui ne sera sans doute jamais débattue présente plusieurs inconvénients. 

1° En premier lieu, soucieux de la réciprocité des échanges entre l'administration et ses usagers, il est regrettable que la proposition de loi ne prévoit pas que les usagers doivent dire "bonjour" et "merci" lorsque l'administration agit correctement envers eux, ce qui est, fort heureusement, souvent le cas.

2° En second lieu, le terme "administration" n'est pas suffisamment précis : il conviendrait de préciser le périmètre exact que recouvre cette expression : s'agit-il uniquement de l'administration centrale ? décentralisée ? déconcentrée ? de tous les gestionnaires d'un service public ? Il conviendrait d'approfondir ce point crucial.

3° En troisième lieu, dans quels cas l'administration doit elle réellement présenter des excuses ? Le texte précise que des excuses sont dues lorsque l'administration a "engagé à tort des actions à l’encontre d’usagers de bonne foi" Il convient donc de déterminer ce qu'est exactement un "usager de bonne foi". Est ce qu'un usager victime d'une erreur administrative mais de mauvaise foi est privé d'excuses administratives ? Et qu'est ce qu'une "action engagée à tort" ? Là aussi un débat sans fin risque d'être ouvert entre spécialistes et plusieurs colloques en sorbonne ne viendront sans doute pas à bout de la difficulté.

Allons plus loin par crainte du superficiel : le texte dipose que l'administration doit, dans le même temps "reconnaître son erreur ET adresser ses excuses". En clair : l'administration peut-elle faire l'un et pas l'autre ? Peut-elle présenter ses excuses sans reconnaître au préalable son erreur ? Une autre interprétation ne permet-elle pas au contraire de penser que l'administration, en présentant ses excuses, reconnaît au moins implicitement mais nécessairement son erreur ? Mais alors : la reconnaissance implicite d'une erreur permet elle de conclure à la présentation régulière des excuses ? Ces dernières peuvent elles, à leur tour, également être implicites ? Je veux dire : l'administration peut elle silencieusement présenter des excuses ? Le raisonnement pouvant être poursuivi à l'infini, je m'arrête ici.

4° En quatrième lieu, la proposition définit mal ce qu'est un "usager". Tout au plus précise-t-elle qu'il doit être de bonne foi ce qui rend la preuve assez délicate car chacun ou presque a sa définition de ce que de "bonne foi" veut dire. Que se passe-t-il si l'usager n'est pas une personne physique mais une personne morale ? Est ce que seul le représentant légal de l'usager personne morale sera rendu destinataire des excuses ou, à l'inverse, l'administration sera-t-elle tenu de présenter des excuses à chacun des salariés et pourquoi pas des créanciers, fournisseurs, clients de cette personne morale ?

5° En cinquième lieu, la propositon de loi ne prévoit aucun des détails de cette nouvelle procédure de pardon : à compter de quelle date l'administration doit-elle s'excuser ? de quel délai maximal dispose-t-elle pour s'excuser ? Et quelle sera la forme  exacte du message d'excuses ? L'administration peut elle s'excuser : par mail ? Par fax ? Par courrier RAR ? Par pigeon voyageur ? Plus grave encore, cette loi, si elle est votée appellera sans doute plusieurs décrets d'application ,une circulaire, un guide et une charte de bonnes excuses pour que soit notamment validé l'expression officielle de ces excuses.

Ainsi, il convient de savoir si l'administration devra "prier" l'usager de recevoir ses excuses, si elle peut au contraire adresser directement ses excuses. Autre difficulté : la barrière de la langue. Certes, la langue de la République est le français mais peut-on concevoir, dans le silence de la loi, que l'administartion soit tenue de s'assurer que ses excuses aient bien été comprises par le destinataire du message ? Le recours à un inteprète ne serait-il pas le bienvenu pour assurer l'effet utile de cette procédure ?

6° En sixième lieu, que se passe-t-il si l'administration ne présente pas d'excuses ? L'absence d'excuses constitue-t-elle une faute ? Un recours est-il possible pour obtenir des excuses quand elles sont absentes ?

Et en définitive, cette terrible question : l'administration devra-t-elle s'excuser de ne pas s'être excusée? Que se passe-t-il alors ? Ici aussi le silence de la loi est oppressant.

Je livre ces quelques importantes réflexions à votre analyse et vous présente mes excuses pour la longueur de ce billet.

Arnaud Gossement

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N° 3915
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 novembre 2011.
PROPOSITION DE LOI
visant à permettre à l’usager de bonne foi de recevoir des excuses de l’administration qui reconnaît son erreur,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Daniel FASQUELLE, André WOJCIECHOWSKI, Jean-Philippe MAURER, Bruno BOURG-BROC, Olivier DASSAULT, Yannick FAVENNEC, Jean-Luc REITZER, Marianne DUBOIS, Bernard DEPIERRE, Loïc BOUVARD, Christian MÉNARD, Michel ZUMKELLER, Fernand SIRÉ, Bernard PERRUT, Alfred ALMONT, Didier QUENTIN, Françoise HOSTALIER, Michel GRALL, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Daniel SPAGNOU, Jacques REMILLER, Dominique DORD, Michel VOISIN et Patrice MARTIN-LALANDE,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Certaines demandes de médiation reçues par le Médiateur de la République, pointent des actions engagées à tort par l’administration à l’encontre d’usagers.
Ces erreurs peuvent être parfois très préjudiciables à l’administré de bonne foi.
Même si l’administration procède le plus souvent à la suspension ou l’annulation des actions engagées à tort, elle ne présente que très rarement ses excuses.
Dans les situations où l’erreur est totalement imputable à l’administration, il est proposé qu’un message d’excuse soit adressé par le service concerné à l’usager et que, le cas échéant, à la demande de l’intéressé, un message soit adressé au tiers impliqué à tort.
Cette initiative est prise dans le but d’améliorer les relations entre les usagers et l’administration.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L’administration ayant engagé à tort des actions à l’encontre d’usagers de bonne foi, doit reconnaître son erreur et adresser ses excuses. Il en est de même à l’égard des tiers impliqués à tort.
 


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