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« Ma Bohème » en prison.

Publié le 18 novembre 2011 par Sheumas

 

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Je me voulais en ce temps-là, surtout « étudiant en lettres modernes », et je rejetais complaisamment tout ce qui n’avait pas à voir avec la Littérature. N’ayant cependant guère « frotté » mon vernis au ciseau du Réel, je ne faisais qu’aimer, lire et relire Victor Hugo, Arthur Rimbaud, Marcel Proust (un peu comme les ados écoutent en boucle les mêmes chansons sur leur MP3)… Au passage, j’apprenais par cœur des poèmes ou des paragraphes pour m’illustrer dans les salons branchés de Khâgne et d’hypokhâgne.

   Mon goût grandissant du voyage me faisait souvent préférer le sonnet d’Arthur intitulé « Ma bohème », que je récitais assis sur une table, la chemise débraillée et la mèche rebelle, devant un public acquis dont les moins attentifs « mijotaient » des poèmes de Lautréamont, de Walt Whitman ou de Baudelaire.

   Le vers « Mon unique culotte avait un large trou » faisait souvent sourire l’assistance et, quand l’occasion se présentait, je finissais par me servir un verre de vin pour enrichir la déclamation d’un jeu de scène bien dérisoire ! « Et je les écoutais assis au bord des routes / Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes / De rosée à mon front comme un vin de vigueur (…) »

   Et puis, pendant tout un été, j’ai pu réaliser un rêve, après la lecture de Jack Kérouac… Celui de « taper la route » aux Etats-Unis, du nord au sud et d’est en ouest, dans les conditions rudes de l’auto-stop, « les poings dans les poches crevées », « l’ auberge à la Grande-Ourse » et les trous dans les baskets… La redécouverte de Rimbaud, c’était d’abord ça ! L’épreuve du dénuement et l’émerveillement d’un grand gamin plongé dans une aventure difficile mais jubilatoire.  

   C’est alors que tout a basculé, suite à l’une des nombreuses mésaventures qui guettent « le pouceux » sur le territoire américain (où les auto-stoppeurs ne sont pas forcément les bienvenus…). La police de La Nouvelle-Orléans m’a violemment arrêté et m’a jeté, sans ménagement, dans la cellule d’une prison… Plus de baskets, plus « d’étoiles au ciel » ni de « doux frou frou »… mais un uniforme de vrai bagnard, un bracelet avec un numéro de prisonnier, un ciel de prison, des barreaux donnant là-bas, tout au loin sur la route, et des compagnons de cellule qui n’étaient pas des poètes !

   Et bien c’est dans ces conditions bien particulières, que j’ai pour la première fois éprouvé toute la richesse de « Ma bohème », dont je me suis mis instinctivement à faire sonner les mots et les rythmes. Humilié, dénudé, privé d’identité, je n’avais en moi, outre ma patience, que cette dernière ressource, cet hymne à la Liberté de l’Esprit. « Ma Bohème » vibrait en moi, et je me revoyais dans les heures qui venaient à peine d’écouler, « assis au bord des routes » en « ces bons soirs d’été », où tirant sur « les élastiques de mes souliers blessés / Comme des lyres (…) », je rêvais sur le soleil couchant et les promesses de Californie sur la route à l’horizon.  


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