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Solaire : première analyse de l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 novembre 2010

Publié le 18 novembre 2011 par Arnaudgossement

CE.jpgPar arrêt du 16 novembre 2011, le Conseil d’Etat a rejeté l’ensemble des recours tendant à l’annulation du décret du 9 décembre 2010 portant suspension de l’obligation d’achat. Analyse. 

 

Malgré le nombre fort important de requérants, d’entreprises, de juristes et d’avocats et la qualité des arguments opposés au décret du 9 décembre 2010, la Haute juridiction administrative a jugé que ce texte est légal et confirmé la suspension de l’obligation d’achat qui a causé un tort important à une filière en plein développement. 

Ayant été au nombre des avocats des requérants, je ne peux bien entendu pas ici faire état de mon commentaire personnel mais me limiterai à l’analyse juridique d’une décision qui ne pourra que décevoir tous les entrepreneurs de bonne foi qui ont souffert de l’application de ce décret du 9 décembre 2010. Les développements qui suivent tendant à une présentation la plus objective possible de la décision du Conseil d’Etat. Mais disons le tout de même : cet arrêt est troublant. Certaines appréciations me semblent en effet, au moins un peu rapides et certaines interprétations ne sont que difficilement compréhensibles. Sans doute la doctrine permettra de clarifier la portée de cet arrêt qui, sans aucun doute, suscitera beaucoup d’attention. Dés à présent, il apparaît cependant que cet arrêt procède d'une interprétation trés restrictive de principes, tel celui de confiance légitime, qui aboutit à en réduire le sens et la portée. 

Ne pas former un recours en annulation contre ce décret était bien sûr impensable et il faut remercier les organisations et entrepreneurs qui ont tout simplement dit « non ». Ils n’auront peut-être pas réussi à démontrer que ce moratoire est illégal : ils auront certainement démontré que ce moratoire était inacceptable en s’exprimant fortement, jusque devant la Haute juridiction. Cette prise de position compte pour l'avenir. 

En toute hypothèse, il appartient à chaque requérant de faire le point avec son propre conseil sur sa situation particulière pour déterminer les suites à donner à cet arrêt pour la défense des droits et intérêts de chaque entreprise. 

Pas de droit au tarif d’achat avant signature du contrat d’achat. 

De manière générale, le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat repose, principalement, sur les dispositions de l’article 10 de la loi du 10 février 2000 dans leur rédaction issue de l’article 88 de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 : « les contrats régis par le présent article sont des contrats administratifs qui ne sont conclus et qui n’engagent les parties qu’à compter de leur signature. Le présent alinéa a un caractère interprétatif ». 

Dés la publication de la loi Grenelle 2 j’ai pu écrire sur la portée de cet article 88 : tant que le contrat d’achat n’est pas signé, le tarif d’achat n’est pas sécurisé et aucune relation contractuelle n’est nouée entre le producteur et l’autorité en charge de l’obligation d’achat. Dés lors, le Conseil d’Etat juge que les producteurs exposés à l’application du décret du 9 décembre 2010 n’avaient pas de « droit acquis » pour ceux d’entre eux qui n’avaient pas, avant cette date, obtenu un contrat d’achat signé. 

Cette analyse est reprise à plusieurs reprises dans l’arrêt

En premier lieu, l’arrêt précise que le principe «d’espérance légitime » inscrit à l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’a pas été méconnu par le décret entrepris dés lors que les requérants n’avaient pas de droit acquis à la conclusion d’un contrat : 

"Considérant, toutefois, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, la loi du 10 février 2000 qui a instauré l'obligation d'achat a également prévu les conditions de sa suspension ; qu'elle a en outre été modifiée pour préciser que les parties n'étaient engagées qu'à compter de la signature du contrat d'achat ; que les requérants ne peuvent dès lors se prévaloir d'une espérance légitime à la conclusion d'un contrat à des conditions tarifaires inchangées ; que, par suite, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent être utilement invoquées"

En second lieu, pour le Conseil d’Etat, le principe de non rétroactivité n’a pas été méconnu dés l’instant où aucun producteur ne pouvait se prévaloir d’une « situation juridiquement constituée avant la conclusion du contrat d’achat.

L’arrêt précise en effet : 

« Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 : Les contrats régis par le présent article sont des contrats administratifs qui ne sont conclus et qui n'engagent les parties qu'à compter de leur signature. Le présent alinéa a un caractère interprétatif ; que les producteurs à l'égard desquels l'obligation de conclure un contrat d'achat d'électricité a été suspendue ne peuvent être regardés comme étant déjà liés à Electricité de France ou à un autre distributeur par un contrat ou placés dans une situation juridiquement constituée avant la signature d'un tel contrat ; que, par suite, le décret en litige ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité des actes administratifs » 

Ici aussi, l’arrêt du Conseil d’Etat revient à une réduction du sens et de la portée du principe de non rétroactivité.

Sur la consultation du Conseil supérieur de l’énergie

La présente note n’a pas vocation à reprendre chacun des éléments et considérants de l’arrêt. Toutefois, il convient de relever que le fait que le Conseil supérieur de l’énergie ait été convoqué par courrier électronique et consulté le jour même de la signature du décret litigieux ne constitue pas un vice de procédure dés lors que le CSE a pu exprimer un avis, que ce dernier a été transmis au Gouvernement et que le texte publié au JO tient compte d’une recommandation du CSE, à savoir la réduction du délai de suspension de quatre à trois mois. 

Sur la consultation de la Commission de régulation de l’énergie

Le Conseil d’Etat a jugé que l’absence de consultation de la CRE ne constitue pas un motif d’illégalité du décret du 9 décembre 2010. En effet, pour la Haute juridiction, ce texte n’a pas trait à l’accès aux réseaux. Dés lors, seule le CSE avait vocation à être consulté. Cette analyse est susceptible d’être débattue dés l’instant où ledit décret avait en réalité une incidence pour l’obligation de raccordement : de nombreuses demandes de raccordement ont été rejetées et de nouvelles demandes de raccordement devaient être déposées, passé le délai de suspension de trois mois. Dans ces circonstances, le décret du 9 décembre 2010 a sans doute eu une incidence pour la procédure de raccordement au réseau. Le Conseil d’Etat n’a toutefois pas retenu cette analyse. 

Sur la méconnaissance de la directive du 26 juin 2003 relative au marché intérieur de l’électricité.

Le Conseil d’Etat a jugé que le mécanisme de l’obligation d’achat est sans rapport avec les dispositions des articles 1er et 24 de cette directive laquelle encadre la possibilité pour un Etat membre de prendre des mesures de sauvegarde en cas de crise soudaine sur le marché de l’énergie et de menace pour la sécurité physique ou la sécurité physique ou la sûreté des personnes, des appareils ou installations, ou encore l’intégrité des réseaux. 

Sur la méconnaissance de la directive du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables

Le Conseil d’Etat a jugé que le dispositif juridique de l’obligation d’achat est sans rapport avec les dispositions de l’article 13 de cette directive dés lors qu’il ne régit ni l’autorisation des installations de production d’électricité renouvelable, ni l’accès au réseau de l’électricité ainsi produite. 

L'objectif de la PPI : un plafond

Les objectifs de développement de la production d’énergie sont fixés, par source de production, par un arrêté « PPI » (programmation pluriannuelle des investissements). Pour le solaire photovoltaïque, l’objectif est de parvenir à une puissance installée de 5400MW d’ici à 2020. Objectif jugé trop peu ambitieux par les professionnels s’il doit être considéré comme un plafond et non comme un plancher. 

Jusqu’à présent, cet arrêté était considéré comme dépourvu de valeur juridique contraignante. Il s’agissait en quelque sorte d’une simple orientation politique. L’arrêt du Conseil d’Etat vient cependant apporter des précisions importantes sur ce point, précisions qui dépassent la seule problématique du solaire photovoltaïque : 

En effet, pour la Haute juridiction : 

« (…) le Premier ministre a pu légalement estimer que l'obligation de conclure un contrat d'achat ne répondait plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements au vu non seulement de la capacité des installations mises en service, mais également de celle des installations ayant fait l'objet d'une demande de raccordement au réseau, dès lors qu'il tenait compte de la proportion de demandes aboutissant effectivement à une mise en service ; que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ayant été fixés pour l'ensemble du territoire français, il était en droit d'apprécier leur satisfaction de façon globale, sans qu'il soit besoin de distinguer selon que les territoires étaient ou non interconnectés au réseau métropolitain continental"

Ainsi, désormais, le fait de dépasser un objectif constitue un risque que le Premier ministre est en droit de prévenir. Le raisonnement est une fois de plus surprenant car aucun texte ne fait état du risque lié au dépassement d’un objectif Au demeurant, l’objectif étant fort bas, il aurait été possible de se féliciter qu’il soit dépassé. En réalité, tout se passe comme si progressivement les objectifs de la PPI devenaient des plafonds et non plus des planchers.

Plus surprenant encore, pour juger que l’objectif de la PPI relative au solaire photovoltaïque, le Conseil d’Etat se fonde sur des données dont il n’a jamais été possible au cours de l’instruction, d’avoir la preuve de la sincérité, au-delà des simples allégations écrites de l’Etat. 

"Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la fin du mois de novembre 2010, la capacité des installations en service s'élevait à 800 MW et celle des demandes en attente était estimée à 5375 MW, dont le Gouvernement était fondé à considérer que la moitié au moins serait effectivement mise en service dans les mois à venir ; qu'en estimant ainsi que l'obligation d'achat instaurée par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 ne répondait plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements, eu égard à l'objectif de puissance totale installée fixé pour le 31 décembre 2012, le Premier ministre a fait une exacte appréciation de la condition posée par les dispositions de l'article 10 précité ; que dès lors, le moyen tiré de ce que la condition mise à la suspension par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 n'était pas remplie doit être écarté"

Ainsi, le Conseil d’Etat se fonde ici sur le chiffre de 5375MW, correspondant à la capacité des installations faisant l’objet d’une demande de raccordement. Chiffre pourtant invérifiable et jamais vérifié.

Principe de confiance légitime : les producteurs devaient savoir

Voici le considérant de cet arrêt qui suscitera sans aucun doute la plus grande émotion. Pour juger que le décret litigieux ne méconnaissait pas le principe de confiance légitime, le Conseil d’Etat juge que les producteurs…devaient s’y attendre : 

« Considérant, en second lieu, que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique auprès duquel une autorité nationale a fait naître à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union, des espérances fondées ; que, toutefois, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque cette mesure est finalement adoptée ; qu'en l'espèce, aucune disposition du droit de l'Union européenne n'imposait le maintien d'une obligation de conclure un contrat d'achat d'électricité à des conditions tarifaires inchangées ; que les dispositions de l'article 10 de la loi du 10 février 2000, qui prévoient l'obligation de conclure un contrat d'achat d'électricité, ont également, dès l'origine, autorisé le Gouvernement à suspendre cette obligation dans l'hypothèse où elle ne répondrait plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ; que, par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, le législateur est intervenu pour préciser que les contrats régis par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 n'étaient conclus et n'engageaient les parties qu'à compter de leur signature ; que le développement trop rapide des installations de production d'électricité à partir de l'énergie radiative du soleil et le niveau excessif du tarif d'achat, pesant sur le coût de l'électricité pour le consommateur, avaient été soulignés, notamment, par différents avis de la Commission de régulation de l'énergie et par un rapport du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et de l'inspection générale des finances ; que, dans ces conditions, alors même que les arrêtés fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil prévoyaient que la date de demande complète de raccordement au réseau public par le producteur déterminait les tarifs applicables à une installation, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un opérateur prudent et avisé n'aurait pas été mis en mesure de prévoir la suspension provisoire de l'obligation d'achat et la remise en cause des tarifs applicables aux installations pour lesquelles un contrat n'aurait pas encore été signé ; que, par suite, le décret attaqué n'a pas méconnu le principe de confiance légitime ».  

En jugeant qu’un requérant ne peut se prévaloir de la méconnaissance du principe de confiance légitime au motif que l’acte administratif portant atteinte à sa situation était prévisible, le Conseil d’Etat procède à une réduction très sensible du sens et de la portée du principe. 

Au cas d’espèce, ce raisonnement est surprenant pour plusieurs raisons. En premier lieu, si l’intervention du décret du 9 décembre 2010 était prévisible, pourquoi le gestionnaire de réseau de distribution (ERDF) n’a-t-il pas instruite avec davantage de diligence les demandes de raccordement au réseau ? L’analyse du Conseil d’Etat renforce considérablement le caractère fautif de la méconnaissance par ERDF de sa propre procédure de traitement, qui a récemment été relevée par le CoRDIS. Rappelons que ERDF avait trois mois pour instruire les demandes de raccordement déposées devant elle. ERDF a toujours soutenu qu’elle ne pouvait pas savoir que le décret moratoire interviendrait, a fortiori dans ces conditions. Or, le Conseil d’Etat vient de juger que chacun pouvait anticiper l’intervention du décret.

En second lieu, c’est en réalité par un communiqué de presse en date du 2 décembre 2010 que l’immense majorité des producteurs a appris la décision d’un moratoire. Ils ne pouvaient à cette date plus rien faire de « prudent » et d’ « avisé » car le décret a rétroagit au 2 décembre. En définitive, cette analyse au terme de laquelle les opérateurs « devaient savoir » est, dans les faits, parfaitement contestable. 

Pas de méconnaissance du principe de sécurité juridique

Au cas présent, les requérants avaient soutenu que le principe de sécurité juridique avait été méconnu par le décret du 9 décembre 2010, dés l’instant où aucun période transitoire n’avait été créée de nature à permettre une adaptation progressive aux nouvelles mesures édictées. Le Conseil d’Etat écarte également ce moyen.

"Considérant, en dernier lieu, qu'il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu'en l'espèce, au regard de l'intérêt général qui s'attachait à redéfinir les conditions d'achat de l'électricité issue de l'énergie radiative du soleil et des effets limités dans le temps de la mesure de suspension prononcée, qui réservait en outre les projets les plus avancés, son application immédiate ne peut être regardée comme ayant entraîné une atteinte excessive aux intérêts en cause ; qu'en subordonnant le maintien de l'obligation de conclure un contrat d'achat aux conditions antérieures, pour les installations ayant fait l'objet d'une acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau avant le 2 décembre 2010, à la mise en service des installations dans un délai au moins égal à neuf mois à compter de la publication du décret, prorogé le cas échéant des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement, le pouvoir réglementaire a laissé aux producteurs un délai raisonnable ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit, dès lors, être écarté" 

Ici aussi, l’analyse retenue fait débat. Pour les entreprises contraintes à déposer le bilan, le moratoire n’aura pas eu que des « effets limités ». Par ailleurs, si le pouvoir réglementaire a effectivement fixé un délai de réalisation – au demeurant assez court – pour la réalisation des travaux de mise en service des installations écartées de la suspension de l’obligation d’achat, tel n’a pas été le cas pour les installations tombant sous le coup d’une suspension, qui, bien plus qu’une suspension était en réalité une purge de la file d’attente. 

Cette purge de la file d’attente n’a pas été organisée au moyen d’une période transitoire et sa brutalité a été incontestable. 

En conclusion, cet arrêt du Conseil d’Etat procède d’une analyse qui restreint le sens et la portée de nombreux principes juridiques et dont la nécessité n’apparaît pas. Il semble que la Haute juridiction soit partie du postulat que le Gouvernement n’avait pas le choix d’agir ainsi alors que tel n’était pas le cas.  D’une part, les chiffrés mis en avant pour justifier l’existence d’une « bulle spéculative » sont invérifiables, d’autre part, il existait bien d’autres moyens de procéder à une régulation plus fluide du développement de l’énergie solaire. Le Gouvernement est, au contraire, en grande partie responsable des perturbations du développement de la filière, en raison d’une absence de vision claire et précise de l’avenir de notre politique énergétique. 

Espérons que le combat judiciaire qui vient d’être mené devant le Conseil d’Etat se prolongera désormais dans la campagne présidentielle par une interpellation des candidats sur leurs positions précises, en matière de développement des énergies renouvelables. 

Arnaud Gossement

Avocat associé - Docteur en droit


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