Et la poésie, elle ? Elle exige une distance dans le langage – on ne poétise pas comme on élabore un roman ou rédige un pamphlet –, elle ne peut répondre à un effort direct, né de la vie même, qui s’inscrirait sitôt en des données verbales propres au scandale ou à la rage de l’être : elle requiert une forme. (À l’opposé de cet artefact D.Collobert a écrit des instants vécus, ponctués de tirets, d’enchaînements de perceptions et sensations unissant vie et écriture, parce qu’elle souffrait cette incapacité d’engagement réel, de témoignage incarné dans le poème, qui l’a menée à son propre renoncement, à ce niveau extrême la littérature étant perçue impossible parce que générale, impersonnelle, négatrice du Soi).
Ces questions ne naissent que d’une croyance naïve en un sujet. Quel est le sujet dans le poème ou le texte – le substrat personnel et fictif ? Beaucoup se croient "auteurs", comme on dit dans les manuels, alors que la littérature est une puissance anonyme de langage, ou j’"engage" ma propre mort originelle, en toute perte. Même pas contemporain de moi-même, selon Mallarmé, ailleurs, quelque part dans l’espace virtuel qu’est l’écriture vaine, un simulacre de vérité.
Jude Stéfan, "De l’engagement (ou la poésie, elle)", dans Grains & issues, La ligne d’ombre, 2008, p. 64-65.
Contribution de
Tristan Hordé
Rappel : note de lecture de Grains
& issues