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Thomas Vinau, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux

Par Eric Bonnargent
Tu es cendre et sur cette cendreMarc Villemain

Thomas Vinau, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux

Alma Éditeur

Il est singulier que la naissance (que je salue) d’une maisond’édition, en ces temps de conquérante technophilie, donne non seulement lieu àla fabrication de petits objets taillés dans de l’épais et rugueux papier,couverture nue et cartonnée sans souci aucun de clinquance, mais aussi,d’emblée, à un registre littéraire qui soit aussi écarté des engouements du temps. Quoique l’on pourrait tout aussi bien, à rebours,considérer ce tropisme comme l’expression d’une certaine tentation bobo, de celle qui vante et promeut l’authenticité, mot-clédes critères culturels de l’époque. Il y a bien, parfois, dans le texte dont ilest ici question, quelque afféterie qui, en longeant les bords de la chansondite à texte, pourrait y fairesonger, toutefois il serait très indu d’y résumer la prose de Thomas Vinau,qui, par bien des aspects, ne relève pas tant du roman que d’une litaniepoétique mise en roman.
Si la poésie a quelque accointance avec le monde des couleurs, celle deNos cheveux blanchiront avec nos yeuxest incontestablement celle de la cendre. La cendre, cette couleur où nos viesiront se résoudre, cette couleur produite en permanence par ce volcan qu’estaussi notre moi, cette couleur enfin dont nous cherchons toujours à renaître.Car ce qui se joue ici est bel et bien un rapport à la vie, considérée sous sesaspects premiers, organiques, intimes et destinaux. Walter, le personnageprincipal et pour ainsi dire unique, cherche à sa manière le sens de la vie, etle cherche dans cet ancestral mouvement de bascule : partir, revenir.Partir, c’est-à-dire abandonner une existence que l’on dit nôtre et s’en allervérifier que tel est bien le cas ; revenir, comme on revient s’attacher auport, parce que, finalement, c’était peut-être bien le nôtre. Mais Walter veuts’en assurer, quitte à délaisser quelques temps la femme qu’il aime – de partirlui permettra peut-être de sonder son amour –, pour mieux revenir, ou revenirmeilleur, non pas assagi mais empli de ce calme que requiert la conduite d’uneexistence qui fût consciemment sensible, et de revenir pour se regarder vivrecomme père. 
Ce qui est touchant, chez Walter, c’est cette manière qu’il a de nepouvoir vivre autrement que dans la densité de l’instant, tout en ne pouvantpas davantage vivre sans être à côté, ou par-dessus, les millénaires del’humanité. Il déambule dans sa propre existence à l’image de l’homme qui, onle sait bien, ne fait sur cette terre que passer. D’où cette prose où l’onperçoit, lovée dans la douceur et la délicatesse, un peu d’écorchure, et quepar moments l’on pourra rapprocher d’un Louis-René des Forêts, dans cettemanière de dire ou de ramasser le monde en quelques impressions fortes :« On finit seul, en haut de la tourà regarder les choses bouger loin de nous. En rêvant encore, quelques matins degrande forme, de se frotter le visage dans la terre et l’herbe mouillée. Commeun chien. » Thomas Vinau use davantage du susurrement que de la parole– un peu à la manière de Chet Baker, qui d’ailleurs passe ici, parmi tantd’autres ombres. On pourrait également invoquer Christian Bobin, sa manière derecueillir ces événements de la vie qui n’en sont pas tout à fait mais quipourtant la pétrissent, la colorent, l’épaississent. « J’ai de l’amour à revendre pour la naturepérissable et du dégoût à offrir à n’importe lequel de mes semblables. Noussommes des petits chiots qui jouent à déchiqueter le monde », se ditWalter comme en écho à La folle allurede Bobin, ce : « nous sommesdes ânes qu’un peu de foin réjouit. » Le rapprochement toutefoiss’arrêtera là, Vinau délaissant parfois une certaine candeur pour assumer cettepart plus sombre qui donne à son livre une tonalité plus inquiète. C’estl’anxiété du père, par exemple, attentif à la vie qui éclot chez son fils, pourfinalement se demander : « qu’enretiendra-t-il de tout ce qu’il m’a appris à lui apprendre. » C’est cesentiment de plénitude où vient se loger la lucidité douloureuse : « L’élégance de ton chignon défait. La lunetoute seule dans le ciel. Une noix dans le feu. Finalement la liste estlongue des superbes insignifiances qui me tiennent debout. » Ou,encore, cette incrédulité face à l’amour de l’autre, ce doute rémanent qui letaraude, jusqu’à croire que « tu essourde au vacarme de mes défaites. » J’ai pu, parfois, trouverquelques traits un peu faciles ; il n’en reste pas moins que Thomas Vinaunous donne à lire un texte très touchant, écrit avec beaucoup de grâce, d’uneprofondeur lyrique et mélancolique qui, à n’en pas douter, le distingue.

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