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Les Neiges du Kilimandjaro (et du port de Marseille)

Par Mercredid

Les Neiges du Kilimandjaro

  Jeudi 17 Novembre 2011. 22h, rien à faire chez moi et pas envie de dormir ; plutôt que de taper un rail de coke ou de rendre visite à Rose-Marie, prostituée togolaise avec qui j’ai une liaison depuis bientôt deux ans, je décide d’aller voir le dernier film de Robert Guédiguian, les Neiges du Kilimandjaro. A 19 ans, on n’a pas nécessairement envie d’aller voir des films « culturels », apparemment destinés à un public de préretraités gauchistes qui ont au moins trois fois l’âge de ma grande sœur. Cependant une salle de cinéma est un endroit duquel on peut partir quand l’envie nous en prend, il ne coûte donc rien d’essayer.

  Je rentre donc dans la salle n°4 et m’installe (très) confortablement, bien décidé à me faire chier comme un rat crevé pendant presque deux heures, à entendre des ouvriers syndiqués à fort accent provençal parler de merguez, de football et de communisme. Or quelle n’est pas ma surprise de constater au bout d’une demi-heure, que ce film est en train de m’embarquer, voire même de me faire chavirer !

  La scène d’introduction se déroule dans le port de Marseille, où Michel, délégué syndical depuis toujours, procède à un tirage au sort parmi les ouvriers de son entreprise pour désigner les licenciés. Manque de pot, Michel tire son propre nom, alors que son statut à la CGT aurait pu lui éviter le chômage. Vous l’aurez compris, Michel est la figure même de l’intégrité et de la bonté, du travailleur honnête est miséricordieux qu’à si bien décrit Victor Hugo dans son poème Les pauvres gens, dont est d’ailleurs inspiré le film.

  Si Michel est « quelqu’un de bien », son épouse Marie-Claire l’est tout autant. C’est un peu la grand-mère que tout le monde rêverait d’avoir… Dynamique et tellement simple à la fois, ce personnage interprété à la perfection par Ariane Ascaride transpire l’humanité. Ce couple mûr qui vit dans le bonheur simple et tranquille va devoir tout remettre en question lors de l’irruption de deux braqueurs masqués, qui vont les brutaliser et voler leurs biens. Ce véritable traumatisme va d’un coup changer leur perception du monde et leur petite vie bien réglée. Dès lors les notions de bien et de mal, de colère et de vengeance perdent de leur clarté, surtout lorsque Michel découvre l’identité de l’un de ses jeunes agresseurs, Christophe, un ancien collègue. Doit-il pardonner, ou au contraire souhaiter sa mort, comme le fait son ami d’enfance Raoul ? Doit-il frapper son agresseur lorsque celui-ci se retrouve devant lui en détention, attaché et sans défense ? Doit-il rester fidèle à la figure de Jaurès, auquel le film fait de nombreuses fois référence, ou bien doit-il trahir ses convictions humanistes, et succomber à la haine ? Ces interrogations font parties des nombreuses questions philosophiques et morales que soulève ce film.

  L’intrigue s’enrichit encore lorsque le couple Michel/Marie-Claire s’entiche des petits frères de Christophe, innocentes victimes livrés à eux-mêmes dans un appartement délaissé. Même quand le sort les frappe durement, les saints qui se cachent en eux les poussent à accomplir des actes merveilleux.

  Dans ce conte social lumineux et engagé, Robert Guédiguian traite de nombreux thèmes vastes et complexes comme l’amitié, la famille, la vengeance, la justice. Le problème politique est présent dans chaque plan, dans chaque geste des personnages, sans jamais tomber dans l’exposé. Le tout est nimbé d’une aura poétique qui ressemble à une ode à l’humanité, à la bravoure, au courage. Un film qui réussit à être social sans être chiant, politique sans être démagogue, et humain en étant humain. Bref, une belle réussite.

Mention spéciale au personnage de Marie-Claire, une femme intelligente et simple, populaire et lumineuse.


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