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Albert Camus, La Peste 2: quelques remarques

Par Abdesselam Bougedrawi @abdesselam

Albert Camus, La Peste 2: quelques remarques

Remarque 1 : Les événements du roman se déroulent à Oran, ville algérienne dont la majeure partie de la population est arabe. Cependant dans le récit, cette population est occultée. Elle ne fait même pas partie de l’arrière-plan du roman.  Il n’est fait allusion à elle qu’en deux circonstances :
L’enquête de Rambert sur les conditions de vie des Arabes.
L’allusion à un jeune arabe tué sur la plage par un jeune commerçant. Référence à «l’étranger»

Remarque 2 : Une idée majeure du roman est que la vie est un éternel recommencement.
Ainsi, à titre d’illustration des personnages vont répéter les mêmes gestes :

  • Le petit  vieux qui crache sur les chats
  • Le vieil espagnol asthmatique qui compte les pois.
  • Joseph Grand le fonctionnaire de la mairie qui recommence éternellement le début d’un roman.
  • Raymond Rambert le Journaliste qui recommence ses tentatives de sortie de la ville. Etc.
    C’est artificiel et exaspérant.

D’autant plus que la vie n’est pas un éternel recommencement. Il existe effectivement une activité répétitive de base : dormir et se réveiller chaque jour, manger à intervalle régulier, etc.
Il s’agit là d’activités biologiques, essentielles à la vie et non pas d’actes absurdes.
Si on considère l’activité humaine sur une courte période, elle peut paraitre faussement répétitive.
Mais si on change d’angle de vue et de durée, elle est inexorablement changeante.
C’est parce que la vie n’est pas un éternel recommencement qu’Homo Sapiens a su évoluer et supplanter d’autres espèces.
Remarque 3 : L’auteur dans un autre ouvrage (le mythe de Sisyphe) nous présente la vie professionnelle et monotone d’un ouvrier. Cette vie étant décrite comme absurde.
On peut remarquer que ce même travail pénible et répétitif peut en d’autres circonstances être au contraire exaltant. Ainsi en temps de guerre, ce même ouvrier, dans la même usine et effectuant le même travail, serait au contraire heureux de contribuer par son labeur à l’effort de guerre !!
La répétition peut donc être interprétée de façon différente selon les circonstances.
La monotonie de la vie, la dépression en usine (ou ailleurs du reste) posent un autre problème, celui de la pénibilité physique ou psychologique des conditions de travail (ou de vie).
Il s’agit avant tout de problème que peuvent résoudre les syndicats, les sociologues, les psychologues, etc., et apparemment pas les philosophes.
Et en dernier recours il appartient aux gens de prendre leu sort entre leurs mains et de changer leurs conditions de travail ou de vie. Donc le cours de leur destin. Est c’est là où doivent entrer en jeu les philosophes. Ce n’est pas le cas ici.

Remarque 4 : La vie est un éternel recommencement est une théorie dangereuse, car elle suppose un immobilisme qui empêcherait l’humanité de progresser.
En fait, cette théorie est la bienvenue par tous les dogmes religieux et les régimes despotiques.

Remarque 5 : Les personnages du roman manquent de profondeur. Ils sont gentils, nobles, courageux. Ces personnages semblent plus appartenir à un roman de Cesbron, qu’à un roman philosophique qui se déroule dans une ville siège de l’horreur.
Cette inconsistance se traduit fortement dans l’argument de Rieux contre le prêche du père Paneloux. En effet la mort du fils du juge Othon dans d’atroces souffrances dues à la peste est assenée au prêtre. « Ah ! Celui-là, au moins, était innocent, vous le savez bien!»
Argument faible, car c’est méconnaitre la folie des dogmes religieux. La mort d’un enfant aussi horrible fut elle ne fera jamais fléchir le cœur d’un religieux. Peu importe les morts, ce qui compte c’est le triomphe de la foi. Cela se vérifie régulièrement depuis des siècles.

Remarque 6 : Le problème de la peine de mort est crucial, mais fallait-il pour autant l’introduire dans ce roman destiné à illustrer les pensées de l’auteur sur l’absurdité de la vie ?
Tarrou quitte son père lorsqu’il découvre que celui-ci est un procureur qui réclame la peine de mort.
Tarrou n’agit-il pas comme la peste ?
Ne fait-il pas preuve de cruauté envers un homme qui ne faisait que son devoir selon les normes de l’époque en infligeant à son père une quarantaine affective ?
Tarrou se met du côté des coupables. « Le hibou roux ». Cette attitude extrême n’est-elle pas en fait aussi regrettable que la foi religieuse ?

On peut également retourner à l’auteur sa propre argumentation :
Que penser d’un « hibou roux » qui viole, torture, inflige les mêmes souffrances que la peste à un enfant innocent ?
Peut réellement se mettre du côté de ce genre de coupable ?
Faut-il le combattre comme le Dr Rieux combat la peste ?
Ce qu’il faut, ce n’est pas en vouloir au procureur, instrument d’une justice d’une certaine époque. Ce qu’il faut en réalité c’est convaincre l’opinion que la peine de mort est injuste ou infâme.
L’auteur se trompe de combat, ce n’est pas les juges qu’il faut punir, ni les assassins qu’il faut soutenir, c’est bien la peine de mort qu’il faut abolir.

En conclusion,
la peste est un roman d’une clarté exemplaire qui rompt avec les galimatias de beaucoup de philosophes. Toutefois, les idées de ce livre sont complètement dépassées.



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